EDF et ses filiales Dalkia Smart Building, Dalkia, Citelum et CHAM, dominantes sur le marché de la fourniture d’électricité en France ont été sanctionnées à hauteur de 300 millions d’euros par la décision 22-D-06 rendue par l’Autorité de la concurrence le 22 février 2022.
Le secteur de l’énergie fait l’objet d’une régularisation concurrentielle évolutive tenant compte des besoins et habitudes des consommateurs.
Ses acteurs sont ponctuellement visés par des décisions ou des sanctions administratives.
Ce secteur, ouvert en France à d’autres fournisseurs qu’EDF depuis la loi de concurrence de 2004[i], a permis l’entrée sur le marché d’entreprises alternatives.
Par une saisine enregistrée par l’Autorité le 19 juin 2017, Engie a dénoncé EDF de pratiques anticoncurrentielles.
Anciennement unique fournisseur de gaz, Engie (GDF Suez) avait pu faire l’objet d’une enquête et d’une décision de sanction à hauteur de 553 millions d’euros par la Commission européenne[ii] pour avoir participé, avec la société E.ON, à une entente illicite ayant pour objet de les engager à ne pas vendre le gaz acheminé par le gazoduc construit conjointement par ces deux entreprises sur le marché national de l’autre partie.
Cette décision avait marqué le début des décisions de sanction prises par la Commission en matière de concurrence dans le secteur de la fourniture d’énergie.
Opérateur historique et anciennement en charge jusqu’à l’ouverture à la concurrence de la fourniture d’électricité depuis les lois de 2004 et de 2007[iii], EDF demeure une puissance économique de premier plan sur ce marché.
EDF a amplifié sa position dominante en ayant eu recours à des pratiques d’éviction au désavantage d’entreprises de fourniture d’électricité alternatives. Bien que l’Autorité ait également pris en compte le choix des clients d’EDF de rester client de l’opérateur historique, l’entreprise a faussé le jeu de la concurrence tout en ayant connaissance, depuis 2010, du risque juridique qu’elle prenait[iv].
En l’espèce, EDF, protagoniste des accusations d’Engie, a restreint la concurrence et a profité de sa position en exploitant de manière abusive des moyens dont elle disposait grâce à son statut d’opérateur chargé de la mission de fourniture d’électricité au tarif réglementé de vente (« TRV ») ainsi que des données dont elle dispose sur ses clients.
En effet, EDF a pris le contrôle de la concurrence sur ce marché en utilisant des données issues des fichiers de ses clients éligibles au TRV ainsi que les infrastructures commerciales dédiées à la gestion des contrats conclus avec ces clients. Elle a ainsi pu mieux se positionner sur le marché en développant la commercialisation de ses offres.
Dans le cadre de son enquête menée à partir de 2016, l’Autorité a pu relever qu’EDF avait eu recours à des pratiques commerciales consistant à recueillir le maximum d’informations sur ses clients pour pouvoir en établir la « valeur »[v].
Ces informations étaient recueillies dès lors que les clients avaient recours, notamment par téléphone, à l’assistance clients d’EDF. Les entreprises actualisaient leurs données dès lors que les consommateurs déménageaient ou faisaient part à EDF d’une plainte. Il était possible de cette manière de déterminer la « vie des contrats »[vi] conclus avec leurs clients et de détecter des besoins et offres pouvant être proposés à leurs clients[vii].
Le comportement adopté par EDF n’aurait pas été anticoncurrentiel si ces données avaient pu être partagées avec les fournisseurs alternatifs. Le recours à ce type de pratiques a néanmoins été constitutif d’un abus dans la mesure où EDF a refusé de partager ces données, notamment avec Engie[viii]. Cette mise à disposition du fichier dont EDF a pu tirer partie pour empêcher la concurrence constitue le premier engagement pris dans le cadre de la procédure de transaction négociée avec l’Autorité.
A noter que l’approche dominante d’EDF n’a pas été caractérisée que sur l’établissement d’un historique des contrats conclus avec ses clients. L’entreprise a également eu recours à d’autres pratiques monopolistiques, en utilisant notamment un algorithme capable de prévoir le départ de client[ix]. EDF a d’autant plus entravé la concurrence en prédisant ces départs afin de pouvoir adopter un comportement commercial ajusté pour contenir le départ de ses clients chez d’autres fournisseurs.
L’Autorité a relevé que les pratiques anticoncurrentielles d’EDF avaient concerné, de 2004 à 2018, les marchés français de la fourniture au détail d’électricité aux moyens sites non résidentiels et aux grands sites non résidentiels dont la consommation annuelle est inférieure à 7 GWh / an.
L’Autorité a ainsi relevé que la date de début de la pratique était concomitante à la date à laquelle la position d’autorité d’EDF sur le marché de la fourniture d’électricité était mise en péril. La période après le 1er janvier 2018 n’a pas été prise en compte par l’Autorité pour les besoins de l’analyse concurrentielle.
Conformément aux dispositions du droit de la concurrence, le pouvoir de marché d’EDF et de ses filiales constitue le critère dominant pour pouvoir retenir qu’une entreprise occupe une position qu’elle peut exploiter de façon dominante.
Le droit européen de la concurrence et le droit interne, respectivement sur les fondements des articles 102 TFUE et L. 420-1 du code de commerce condamnent les entreprises, qui, déjà en position prédominante sur un marché, abusent de cette position.
Les entreprises concernées se sont ainsi vues infliger une amende à hauteur de 300 millions d’euros. Le calcul de cette amende a pris en compte la puissance économique du groupe EDF auquel appartiennent Dalkia Smart Building, Dalkia, Citelum et CHAM. Pour fixer ce montant et sur le fondement des lignes directrices qu’appliquent l’ensemble des commissions de concurrence européennes, le chiffre d’affaires mondial est pris en compte. Le chiffre d’affaires du groupe EDF s’élevait à 71,317 milliards d’euros en 2019 et à 69,031 milliards d’euros en 2020.
Au même titre que les ententes anticoncurrentielles, l’abus de puissance d’une entreprise sur un marché ainsi que l’ensemble des pratiques restreignant la concurrence sont prohibés et sévèrement sanctionnés par les autorités. Bien que ces sanctions importantes soient sensées être dissuasives pour pouvoir protéger la concurrence, la possibilité ouverte aux victimes de saisir les juridictions commerciales pour pouvoir faire une demande de dommage reste ouverte.
Par Cynthia Picart et Anne Schmitt
[i] Loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, uniquement pour les collectivités et les entreprises et professionnels.
[ii] Affaire COMP/39.401 — E.ON/GDF, finalement descendue à hauteur de 320 millions d’euros par décision du Tribunal de l’Union européenne du 29 juin 2012 (affaire T360/09)
[iii] Loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie
[iv] §§ 180 et 181 de la Décision
[v] §§ 109 à 112 de la Décision
[vi] §§ 117 et 155 de la Décision
[vii] §§ 139 à 140 de la Décision
[viii] §§ 275 et 276 de la Décision
[ix] § 349 de la Décision
04/07/22