Retour aux articles du blogLa cour d’appel de Paris, par un arrêt du 17 juin 2020 (CA Paris Pôle 5 chambre 4, 17 juin 2020, RG 17/2304), a condamné in solidum Orange Caraïbe et Orange à verser la somme de 249 millions d’euros (en ce compris 68 millions d’euros d’intérêts) à la société Digicel Antilles Françaises Guyane, son concurrent dans les Antilles, en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait des pratiques anticoncurrentielles sur le marché de la téléphonie mobile dans la zone Antilles-Guyane commises par Orange Caraïbe et Orange dans le courant des années 2000.
En l’espèce, par une décision n° 09-D-36 du 9 décembre 2009, l’ADLC avait notamment dit établi l’infraction par les sociétés Orange Caraïbes et France Telecom (devenue depuis Orange) aux dispositions des articles L.420-1 et L.420-2 du code de commerce ainsi que celles des articles 81 et 82 du Traité CE, devenus 101 et 102 TFUE au titre des pratiques suivantes :
A l’encontre d’Orange Caraïbe :
- avoir imposé entre décembre 2000 et le 24 janvier 2005, des clauses d’exclusivité dans les accords de distribution conclus avec ses distributeurs indépendants de la zone Antilles-Guyane,
- avoir appliqué, entre le 1er avril 2003 et 24 janvier 2005, une clause d’exclusivité insérée dans le contrat conclu avec la société Cetelec, unique réparateur agréé de terminaux dans les Caraïbes,
- avoir mis en place, à partir d’avril 2002 jusqu’à avril 2005, un programme de fidélisation de ses abonnés dénommé « Changez de Mobile », en vertu duquel les clients d’Orange Caraïbes ne pouvaient utiliser leurs points de fidélité que pour l’acquisition d’un nouveau terminal en se réengageant pour 24 mois,
- avoir pratiqué, entre l’année 2003 et le 14 avril 2005, une différenciation tarifaire abusive entre les appels « on net » (vers son réseau) et les appels « off net » (vers un réseau concurrent)
A l’encontre de France Telecom (devenue Orange), l’Autorité a jugé que cette dernière avait commis un abus de position dominante en ce qu’elle avait :
- favorisé sa filiale Orange Caraïbe par rapport aux concurrents de cette dernière « en (i) commercialisant de décembre 2000 au 21 mai 2002 l’offre Avantage Améris consistant à appliquer à de nombreux clients professionnels une réduction sur les appels depuis un poste fixe vers le réseau mobile d’Orange Caraïbe exclusivement, puis (ii) en maintenant cette offre jusqu’en décembre 2005 pour les clients qui l’avaient déjà souscrite »,
- mis en place des pratiques de ciseau tarifaire.
La société Digicel avait alors assigné devant le tribunal de commerce de Paris, les sociétés Orange et Orange Caraïbe en réparation du préjudice qu’elle estimait avoir subi du fait des pratiques anticoncurrentielles identifiées ayant selon elle anormalement bloqué son développement sur le marché de la téléphonie mobile aux Antilles et en Guyane.
Par cet arrêt, la Cour d’appel de Paris lui donne droit dans le cadre d’une action indemnitaire dite de follow-on (i.e. action indemnitaire engagée sur le fondement d’une décision constatant une pratique anticoncurrentielle).
La société Digiciel se trouve ainsi indemnisée au titre de son gain manqué et de sa perte éprouvée au titre des pratiques anticoncurrentielles commises sur le marché de la téléphonie mobile aux Antilles et en Guyane par Orange Caraïbe et Orange.
L’on soulignera l’importance du montant de la sanction indemnitaire prononcée par la Cour d’appel de Paris dans cette affaire ainsi que la nécessité pour les entreprises d’anticiper dans leur stratégie :
- pour les unes, la possibilité de recourir à des actions indemnitaires aux fins d’obtenir réparation du préjudice concurrentiel qu’elles auraient pu avoir à subir du fait de pratiques anticoncurrentielles de leurs concurrents ;
- pour les autres, ces risques qui viennent s’ajouter à ceux liés à la participation ou commission de pratiques anticoncurrentielles.
Par Cynthia Picart
19/06/20