Admission par la CJUE du principe d’une “responsabilité descendante” d’une filiale d’un groupe pour une infraction concurrentielle commise par une société-mère

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La victime d’une infraction au droit de la concurrence de l’Union commise par une société-mère peut demander à la filiale de cette dernière la réparation des dommages qui en découlent.

Contexte

Une question préjudicielle avait été posée à la CJUE par la Cour provinciale de Barcelone. Elle était relative au fait de savoir si une société-mère (située hors du territoire concerné) devait être considérée comme l’unique responsable d’une infraction au droit de la concurrence ou si la réparation du dommage causé par la société-mère pouvait être demandé à la filiale du groupe dans le pays concerné par l’infraction.

 

Cette question fait écho à la pratique anticoncurrentielle dite du “cartel des camions” sanctionnée en juillet 2016 par la Commission (2017/C108/05). L’entreprise Sumal, qui avait acquis, durant la période des pratiques, deux camions d’une entreprise appartenant à Daimler AG avait assigné la filiale de la société mère en Espagne afin d’obtenir réparation du préjudice subi.

 

Cette demande avait été rejeté par le Tribunal de commerce de Barcelone. Il jugeait que seule Daimler AG, soit la société-mère, pouvait être reconnue responsable de l’infraction.

Revirement de jurisprudence de la CJUE

La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) dans un arrêt du 6 octobre 2021 (affaire C-882/19) précise tout d’abord que c’est au droit européen de déterminer l’entité devant s’attacher à réparer le préjudice, tout en rappelant que la notion “d’entreprise” est la même que l’on soit en matière de public ou de private enforcement (ici action dite en “follow-on”). De sorte que l’infraction d’une entreprise au sens des dispositions de l’Union (articles 101 et 102 TFUE) entraîne de plein droit la responsabilité solidaire des différentes entités membre de “l’unité économique”.

 

Ainsi, pour répondre par la positive à la question préjudicielle, la Cour de justice a accepté d’étendre l’application du concept « d’unité économique », jusqu’alors utilisé pour sanctionner la société mère pour les pratiques de sa filiale soit une responsabilité “ascendante”, là une responsabilité “descendante”. Pour mémoire, la responsabilité ascendante est caractérisée par :

 

  • Les liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques ;

 

  • L’existence d’un lien concret entre l’activité économique de cette société filiale et l’objet de l’infraction dont la société mère a été tenue responsable.

 

En l’espèce, il convenait donc de caractériser que les produits commercialisés par la société mère sont de même nature que ceux commercialisés par sa filiale pour caractériser non plus la responsabilité ascendante mais une responsabilité descendante. Ici, les camions commercialisés étaient concernés par l’entente anticoncurrentielle de la société mère (Daimler AG), ce qui permettait de retenir la qualification évoquée.

 

La responsabilité civile d’une filiale peut donc être engagée si l’unité économique peut être prouvée par la victime du dommage.

 

Pour tenter de s’exonérer de cette responsabilité, la filiale attaquée pourra toujours contester son appartenance à la même “entreprise” que sa société mère visée par l’infraction.

 

Toutefois, cette contestation ne pourra échapper au principe de primauté de l’Union dans la mesure où une juridiction nationale ne pourra pas aller à l’encontre de la décision prise par la Commission.

 

Les filiales sont donc désormais à leur tour et par effet miroir susceptible de se voir condamner à réparer les préjudices concurrentiels de leur société-mère.

 

Cette décision de la CJUE marque un tournant important en matière de réparation des préjudices concurrentiels et droit des victimes de pratiques anticoncurrentielles.

 

 

Par Marc Maloisel et Cynthia Picart


25/10/21

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