Amazon interroge la constitutionnalité de l’article L.442-1, I, 1° du Code de commerce

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Avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné : la Cour de cassation renvoie au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité posée par Amazon dans le cadre d’un différend l’opposant à l’institut de liaisons et d’études des industries de consommation (ILEC) (Cass.Com., 7 juillet 2022, n° 22-40.010).

 

Le contexte du différend opposant AMAZON à L’ILEC

 

L’institut de liaisons et d’études des industries de consommation (ILEC [1]) faisait grief à la société Amazon, par assignation devant le Tribunal de commerce de Paris du 23 juin 2020, d’imposer, dans ses Conditions Générales Fournisseurs (« CFG »), aux professionnels du secteur de la fabrication des biens de consommation des pratiques commerciales et clauses contractuelles constitutives d’avantages sans contrepartie proportionnée, l’application de pénalités disproportionnées selon des modalités illicites, et la pratique consistant à se laisser la possibilité de différer le point de départ du délai de paiement des factures.

Elle sollicitait donc notamment du Tribunal de commerce de Paris, d’une part, qu’il enjoigne à Amazon de cesser de mentionner dans ses documents contractuels et de mettre en œuvre des pratiques contraires à l’article L.442-1, I, 1° du Code de commerce [2], et d’autre part, qu’il condamne Amazon à verser à l’ILEC 5 millions d’euros au titre du préjudice collectif subi par ses adhérents.

La QPC d’AMAZON

 

Dans ce cadre, Amazon demandait au Tribunal de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), soutenant que l’article L.442-1, I, 1° du Code de commerce serait inconstitutionnel en ce qu’il :

  • serait contraire à la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle garanties par l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC) car de nature à fonder un contrôle juridictionnel généralisé de l’équivalence des avantages recherchés ou reçus par un cocontractant à la valeur de la contrepartie, sans subordonner un tel contrôle à la condition préalable de la soumission ou tentative de soumission de l’un des cocontractants au pouvoir de l’autre ;
  • s’abstiendrait de préciser le seuil à partir duquel un avantage reçu ou recherché devrait être regardé comme « manifestement disproportionné au
    regard de la valeur de la contrepartie consentie
    », et priverait les cocontractants des garanties légales attachées à la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle et le principe d’égalité devant la loi affirmé par l’article 6 de la DDHC et méconnaitrait également l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de ladite DDHC ;
  • outre qu’il méconnaitrait le principe de légalité des délits et des peines découlant de l’article 8 de la DDHC, compte tenu de l’imprécision de la notion « d’avantage manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie » et de l’ampleur de l’amende civile encourue.

Jugeant les trois conditions prévues par l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 satisfaites [3], le Tribunal de commerce de Paris, par jugement du 10 mai 2022 [4], ordonnait la transmission d’une QPC à la Cour de cassation, ainsi libellée :

« Les dispositions de l’article L. 442-1, I, 1°, du code de commerce, prises dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 et maintenue inchangée par les lois n° 2020-1508 du 3 décembre 2020, n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 et n° 2021-1357 du 18 octobre 2021, méconnaissent-elles les droits et libertés garantis par la Constitution tels que la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle, le principe d’égalité devant la loi, la garantie des droits et le principe de légalité des peines ? »

Relevant à son tour que la question présentait un caractère sérieux en ce que l’article L.442-1, I, 1° du Code de commerce est de nature à permettre au juge de procéder à un contrôle des conditions économiques pour caractériser l’existence d’une disproportion manifeste entre l’avantage recherché ou obtenu par une partie et la valeur de la contrepartie consentie par celle-ci, quand bien même ces conditions économiques auraient fait l’objet d’une libre négociation entre les parties, la Cour de cassation, dans son arrêt du 7 juillet 2022, renvoie la QPC au Conseil constitutionnel.

Par Mélanie Ravoisier-Ranson et Cynthia Picart

Notes :

  1. L’ILEC, association loi 1901, a, conformément à ses statuts, notamment pour mission « de représenter et de défendre l’intérêt collectif du secteur de la fabrication des biens de consommation ou l’intérêt collectif de ses adhérents, professionnels de ce secteur ».
  2. Code de commerce, art. L.442-1, I, 1° : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services : 1° D’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ; […] ».
  3. Ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, art. 23-2 : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux».
  4. Com. Paris, 10 mai 2022, n° 2020032138QPC

15/07/22

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