Saisie par le Ministre de l’économie d’une demande d’avis sur le niveau de concentration des marchés en Corse et son impact sur la concurrence locale, l’Autorité de la concurrence a rendu le 17 novembre 2020, un avis n°20-A-11 sur la situation concurrentielle en Corse dont il ressort que les quatre secteurs suivants présentent des enjeux d’ordre concurrentiel pour lesquels l’Autorité formule des recommandations, à savoir :
Le secteur de la desserte maritime de la Corse : l’Autorité souligne qu’il se caractérise par un fort degré d’intervention publique, selon un principe dit de « continuité territoriale », tout en étant soumis à un ensemble de règles européennes et nationales qui définissent un cadre strict applicable aux interventions des acteurs publics et privés (marché intérieur, aides d’État, commande publique, concurrence). Après examen des problématiques liées à la desserte maritime, l’Autorité recommande pour sécuriser au mieux les modalités d’organisation du service public,
Le secteur de la distribution de carburants : l’Autorité relève qu’en raison de la géographie de l’île et d’un faible développement des transports collectifs, les ménages corses sont très dépendants de l’automobile. Or, en dépit d’un taux de TVA inférieur de 7 points sur l’île, les carburants présentent un différentiel de prix très significatif en Corse par rapport au continent, de l’ordre de + 6,7 % pour le gazole et + 5,3 % pour le SP95. Ce différentiel s’explique en partie par des facteurs structurels ( insularité, acheminement routier des carburants jusqu’aux stations-service onéreux, reliefs montagneux allongeant les temps de transport, saisonnalité de la demande liée à l’affluence touristique en été, faible capacité de stockage des dépôts pétroliers de la Corse).
Sur le plan concurrentiel, le secteur est par ailleurs très concentré :
Ces spécificités constituent pour l’Autorité une barrière à l’entrée sur le marché pour tout nouvel acteur souhaitant s’approvisionner auprès de ses propres fournisseurs de produits pétroliers raffinés pour les distribuer en Corse.
Le secteur de la distribution alimentaire : l’Autorité constate que les prix à la consommation sont globalement plus élevés en Corse que sur le continent (+8,7 % en 2015 selon l’INSEE), en dépit, là encore, d’un taux de TVA très significativement réduit dont bénéficie la Corse sur les produits destinés à l’alimentation humaine (taux de 2,1 % au lieu de 5,5 % ou 20 % sur le continent en fonction des familles de produits).
Cette situation s’explique, en partie par les facteurs structurels suivants, liés à :
En outre, le dispositif d’interdiction de la revente à perte (et surtout l’expérimentation prévue par la loi Egalim d’un relèvement de 10 % du seuil de revente à perte (SRP), qui intègre le coût du transport), pénalise les consommateurs corses, sans que la marge commerciale dégagée soit nécessairement transférée aux fournisseurs, notamment aux agriculteurs.
L’Autorité recommande à cet égard de prévoir pour la Corse une dérogation à l’interdiction de la revente à perte (article L. 442-5 du code de commerce) et à tout le moins, de prévoir une dérogation spécifique au dispositif de relèvement de 10 % de seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions prévus par la loi Egalim de 2018, comme la dérogation déjà prévue par l’article 6 de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 pour l’outre-mer pour des raisons tenant à la cherté de la vie dans les territoires concernés.
Le secteur de la gestion des déchets ménagers et assimilés, l’Autorité constate que son coût excède, en Corse, très largement la moyenne nationale avec un surcoût de +161 % supporté par le contribuable local par le biais de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM), dont les taux communaux moyens sont, en Corse, 5 points plus élevés qu’ailleurs en France métropolitaine.
Ce surcoût s’explique, en partie, par les contraintes politiques et structurelles importantes que ce secteur connaît, qui sont liées pour les premières au refus de la Collectivité de Corse de tout procédé d’élimination des déchets par incinération et pour les secondes par l’insularité et la topographie montagneuse de la Corse, ainsi qu’à la saisonnalité des activités touristiques sur l’île.
Malgré ce coût de gestion élevé, la qualité du service public est très dégradée. La Corse subit de longue date une « crise des déchets ».
Cette sous-capacité chronique dans le traitement des déchets sur l’île crée un contexte de rareté qui n’est pas propice à la passation des marchés publics, pourtant nécessaires à l’exercice du service public de gestion des déchets ménagers dans de bonnes conditions. Des difficultés à trouver des soumissionnaires proposant des offres financières raisonnables ont d’ailleurs été constatées, notamment par la Chambre régionale des comptes de Corse, lors de la passation de marchés publics de stockage, de transport routier des déchets en Corse, ainsi que de transport maritime de ces mêmes déchets en vue de leur traitement sur le continent.
Dans ce contexte, l’Autorité invite l’ensemble des administrations et collectivités compétentes à traiter de façon prioritaire le problème du manque d’infrastructures et la sous-capacité chronique de traitement des déchets ménagers résiduels en Corse (y compris en recourant aux outils du code de l’urbanisme permettant à l’État de reprendre, si nécessaire, la main sur les autorisations de construire pour des projets d’intérêt général).
Au motif de cette situation dégradée de la concurrence en Corse, en particulier dans ces trois derniers secteurs (distribution des carburants, distribution alimentaire et gestion des déchets) l’Autorité propose de généraliser l’injonction structurelle en cas de préoccupations substantielles de concurrence, y compris en l’absence de la dominance, de mécanisme de régulation de prix, comme cela existe en Outre-mer (art. L.410-3 du Code de comemrce), et de la doter du pouvoir d’examiner d’office les opérations de concentrations en deçà des seuils, susceptibles de présenter des risques pour la concurrence.
Comme elle l’écrit dans son avis, « l’Autorité recommande au législateur d’adopter des dispositifs « disruptifs » permettant de conduire une politique de concurrence adaptée à ces spécificités ».
Reste à suivre, si cet avis sera suivi d’effet…
Par Cynthia Picart
19/11/20