Concurrence déloyale : Prudence en cas de non-respect de la règlementation applicable à son activité

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Par un arrêt rendu, le 16 novembre 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation apporte un éclairage sur l’action en concurrence déloyale et la qualification d’actes de concurrence déloyale pour non respect de la règlementation [1].

En l’espèce, l’affaire concernait le secteur des crèches. Ce secteur a pour particularité d’être règlementé par le Code de la Santé publique et de suivre deux régimes distincts selon les capacités d’accueil des jeunes enfants d’une crèche. Ainsi  les crèches n’accueillant que 10 enfants ou moins bénéficient de règles plus souples que les autres crèches avec un capacité d’accueil plus importante.

Dans l’affaire qui nous intéresse, une organisation avait reçu les autorisations administratives pour l’exploitation de trois micro-crèches.

Cependant, l’activité de ces trois micro-crèches était au même endroit et le personnel était commun.

Cet état de fait a conduit une société concurrente de ces micro-crèches à les assigner en concurrence déloyale pour avoir scindé artificiellement les crèches afin de bénéficier de règles plus souples alors qu’en réalité un seul établissement accueillait les 30 enfants.

Après une première décision[2] ayant débouté la société concurrente de ses demandes en condamnation des trois crèches, la Cour d’appel a infirmé le jugement[3].

Pour ce faire, la Cour d’appel retient que le projet initial de la société exploitant distinctement plusieurs crèches était de n’en ouvrir qu’une et prévoyait une capacité de 35 enfants.

La Cour a donc accueilli les moyens de la société appelante et énoncé que le fait de contourner la réglementation plaçait les sociétés exploitant les micro-crèches « nécessairement dans une situation anormalement favorable » et perturbait le marché en occasionnant « une rupture d’égalité entre leurs agents ».

Elle a ainsi retenu que ces agissements étaient qualifiables d’actes de concurrence déloyale ouvrant droit à réparation de la société concurrente à l’origine de l’action judiciaire.

Cette solution n’est pas nouvelle… 

Il ressort de la jurisprudence la qualification d’actes de concurrence déloyale par un opérateur économique au préjudice d’un concurrent consécutifs à des activités non conformes aux dispositions réglementant le secteur dans lequel ils exerçaient.

A titre d’exemples, nous vous renvoyons à la lecture de :

  • l’affaire des transports publics du sud de la France[4] où une entreprise menait illégalement une activité de transport public, ce qui avait mené pour l’entreprise chargée des messageries et désignée par l’administration à un manque à gagner.
  • et plus récemment, de l’affaire des fabricants de cristal. Dans cette affaire, la société Cristallerie de Montbronn avait assigné la société Cristal de Paris[5] en réparation du préjudice résultant d’une pratique commerciale trompeuse pour le consommateur, lui conférant un avantage concurrentiel indu. La région mosellane, où sont fixées ces deux entreprises est connue pour la fabrication d’objets en cristal. Le marché de ce type de produits est très concentré, la concurrence entre le peu d’opérateurs présents sur ce marché est importante. La société Cristal de Paris vendait des produits labellisés « Made in France » alors qu’ils étaient fabriqués en Chine et au sein d’autres pays européens. Reconnue auteure d’actes de concurrence déloyale pour les raisons invoquées, la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi formé par cette société contre la décision d’appel[6] confirmant sa condamnation[7] au versement de la somme de 300.000 euros à la Cristallerie de Montbronn qui, non seulement respectait les règles applicables à la labellisation d’un produit « Made in France », mais qui, pour les respecter, employait une main d’œuvre bien plus conséquente, ce qui l’engageait à de plus grands frais que sa concurrente.

Mais n’est pas suivie par la Cour de cassation !

 

Dans l’affaire des crèches, la Cour de cassation n’a en effet pas suivi la Cour d’appel et infirmé sa décision au motif que pour rendre sa décision, la Cour d’appel n’avait pas suffisamment motivé la raison pour laquelle, malgré les autorisations administratives qui avaient été délivrées aux trois micro-crèches, l’exploitation de trois crèches distinctes était fautive et donc constitutive d’actes de concurrence déloyale.

Ici, c’est donc bien le fait que des autorisations aient été données par l’administration pour l’exploitation de trois micro-crèches qui n’a pas permis d’établir que les pratiques étaient illicites et partant, de ne pas accéder à la demande en réparation du préjudice prétendu de la société demanderesse.

 

En effet, si le juge peut constater que c’est sans respecter les règles applicables à un secteur qu’un opérateur commettrait des actes constitutifs de concurrence déloyale alors dans le cas où cet opérateur aurait reçu des autorisations pour mener son activité, il n’y aurait pas lieu que des actes de concurrence déloyale fondés sur le prétendu non-respect de dispositions soient établis.

 

Ainsi, dans le cas où l’exercice d’une activité contreviendrait à certaines règles, non seulement l’entreprise qui l’exerce peut être sanctionnée sur ce fondement, mais dans le cas où cette activité est menée au détriment d’un concurrent, ce dernier peut également exercer une action en réparation du préjudice qu’il pourrait subir à titre de concurrence déloyale – il est donc nécessaire de rester vigilant à respecter les règles applicables au secteur dans lequel on opère… mais pas uniquement !

 

En effet, une attention particulière doit être portée par les opérateurs économiques sur le respect de toutes les règlementations s’imposant à eux dans le cadre de l’exercice de leur activité.

 

Et pour cause…, les actes de concurrence déloyale peuvent également se loger dans le non-respect par exemple de disposition du RGPD ou du code de la consommation .. A cet égard, l’on a pu relever un contentieux engagé par une société contre l’un de ses concurrents proposant des services de réparation de machines agricoles.  Si l’essentiel du fond reposait sur une action en contrefaçon de marque et de brevet, le Tribunal judiciaire de Paris a tout de même sanctionné au titre d’actes de concurrence déloyale l’entreprise n’ayant pas respecté certaines dispositions, à la fois du RGPD et du code de la consommation[8].

 

A cet égard, le Tribunal précise dans son jugement que « dans la mesure où tout manquement à la réglementation dans l’exercice d’une activité commerciale induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur, il convenait de juger que la société en cause s’était « rendue coupable d’acte de concurrence déloyale » et causait un préjudice à la société invoquant son manquement.

 

La vigilance s’impose donc !

 

 

 

Par Anne Schmitt et Cynthia Picart

[1] Cour de cassation, chambre commerciale, 16 novembre 2022, n° 21-18.704

[2] Tribunal de Commerce de Caen, 15 mai 2019, n°2017007091

[3] Cour d’appel de Caen, 2ème chambre civile, 17 juin 2021, n°19/01541

[4] Cour de cassation, chambre commerciale, 20 février 1967

[5] Cour de cassation, chambre commerciale, 12 février 2020, n° 17-31.614

[6] Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 1, 19 septembre 2017, n° 16/05727

[7] Tribunal de commerce de Paris, 15ème chambre, 29 février 2016, n° 2014014668

[8] Tribunal de grande instance de Paris, 15 avril 2022, n° 19/12628


20/01/23

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