Devoir de vigilance : assignation de Danone

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Le 28 septembre 2022, 9 entreprises de l’agroalimentaire et de la distribution Auchan, Carrefour, Casino, Danone, Lactalis, McDonald’s, Les Mousquetaires, Picard et Nestlé France ont été mises en demeure par trois organisations non gouvernementales environnementales Client Earth, Surfrider Foundation et Zero Waste France pour insuffisance et inexistence de leurs plans de vigilance au regard des actions de réduction de l’utilisation de plastique dans leurs activités.

 

C’est en suite de ces mises en demeure que les ONG Client EArth, Surfrider Foundation et Zero Waste France ont assigné le 9 janvier 2023 devant le Tribunal judiciaire de Paris la société Danone sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance, pour son prétendu manque de stratégie et de trajectoire en matière de « déplastification ».

 

 

Il s’agit de la première assignation liée au devoir de vigilance portant sur l’enjeu environnemental du plastique.

La loi sur le devoir de vigilance : nouvelle arme juridique des ONG 

 

 

Pour mémoire, c’est suite à la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh le 24 avril 2013, dont l’effondrement avait causé la mort de millier de salariés sous-traitants de grandes marques de vêtements notamment françaises que la législation française sur le devoir de vigilance est née.

 

 

La France a été pionnière en la matière.

 

 

Ainsi la loi 2017-399  relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, entrée en vigueur le 29 mars 2017 a créé les articles L 225-102-4 et L 225-102-5 du Code de commerce, qui disposent que tout groupe dépassant certains seuils en nombre de salariés (au moins 5 000 salariés en France ou 10 000 salariés dans le monde) est tenu d’ « établir et de mettre en oeuvre de manière effective des mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement« .

 

 

La responsabilité des entreprises peut ainsi être engagée au visa de ces textes en cas de manquement à ces nouvelles obligations visant à prévenir les risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, y compris lorsqu’elles sont commises par leurs filiales directes ou indirectes, en France et dans le reste du monde.

 

 

A cet égard, et à titre de sanction, quand une société mise en demeure de mettre en place un plan de vigilance répondant aux exigences de la loi n’y satisfait pas dans un délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut, à la demande de toute personne justifiant d’un intérêt à agir, lui enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de les respecter.

 

 

Par ailleurs la société-mère peut également encourir un risque de sanction pécuniaire fondé sur la responsabilité civile dans l’hypothèse d’un dommage directement lié à la non-exécution ou aux manquements d’un plan de vigilance mis en place par le groupe, la société mère devra alors réparer le dommage subi par les victimes justifiant d’un préjudice et d’un lien de causalité avec la non-exécution du plan de vigilance ou de son absence.

 

 

Ces nouvelles dispositions légales imposent en définitive aux entreprises de mettre en place un dispositif de vigilance dans le même esprit que  celui imposé par la loi Sapin 2 en matière de corruption.

 

 

Ce plan de vigilance comporte « les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement » liées aux activités de la société et des entreprises sur lesquelles elle exerce un contrôle.

 

 

Ce périmètre, volontairement large, permet à la loi de s’adapter à l’ensemble des risques susceptibles d’avoir des conséquences sur les tiers.

 

 

Les premiers contentieux relatifs au devoir de vigilance ont été engagés par les organisations non gouvernementales dès l’année 2019, et ne cessent de se multiplier, à titre d’exemples BNP ParisBas a été mise en cause sur ce fondement dans deux contentieux, respectivement l’un au titre de son prétendu soutien financier aux projets liés aux énergies fossiles, un second en raison de son financement de la société Marfrig (société agroalimentaire brésilienne) accusée de violations des droits humains et de déforestation dans sa chaîne d’approvisionnement.

 

 

Mais encore le groupe EDF dans le cadre de son projet de construction d’un parc éolien au Mexique, ou bien TotalEnergies pour son gigantesque projet en Ouganda et Tanzanie de puits de forage , d’usine de traitement et d’acheminement par oléoduc d’hydrocarbures pour atteinte à l’environnement et aux droits humains.

 

 

Force est de constater que cette loi est devenu un levier juridique pour les ONG dans leurs divers combats et participent à leur médiatisation ce qui ne peut que conduire les entreprises à la plus grande prudence et à la prévention et anticipation de leurs risques contentieux sur ce terrain.

 

 

D’autant que les ONG poursuivent à travers ce type d’actions judiciaires des enjeux souvent plus larges que ceux ayant trait à proprement parler au non respect ou incomplétude des plans de vigilance des entreprises. Tel est notamment le cas de la présente affaire Danone qui servira de fer de lance aux ONG pour peser sur le futur traité mondial sur les pollutions plastiques prévu pour 2024 et qui leur permettra d’exiger une trajectoire de déplastification, aussi bien pour les Etats que pour les entreprises.

 

Le double enjeu de l’affaire Danone

 

 

Si le juge donne raison aux ONG, Danone pourra alors être enjointe sous astreinte à produire un plan de déplastification au niveau mondial ce qui, on l’imagine d’emblée serait lourd de conséquences tant pour l’entreprise que pour tous les acteurs de la filière (producteurs d’emballages, entreprises agroalimentaires et distributeurs) qui se retrouveraient avec leur tour le risque d’une action en justice par effet domino.

 

 

Plus généralement, ce serait également le signal de la judiciarisation de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) avec la loi sur le devoir de vigilance, où un manquement à ce devoir de la part des entreprises pourrait déboucher sur des procédures contentieuses retentissantes et des risques pour leur réputation.

 

 

Il convient toutefois d’apporter à ce stade une nuance dans la mesure où la loi sur le devoir de vigilance n’a à date été assortie d’aucun décret de sorte qu’elle souffre d’imprécision la rendant difficilement applicable par un juge…reste donc à attendre les décisions de fond en la matière et les décrets se faisant encore attendre bien qu’indispensables pour lui donner toute son efficacité !

 

 

A suivre donc…

 

 

Par Cynthia Picart


28/02/23

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