La Cour de cassation par une décision du 26 janvier 2022 (n°19-24.464) rejette le pourvoi formé par le groupe Stihl contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 17 octobre 2019 sanctionnant l’interdiction faite par la société Stihl à ses distributeurs agréés de vendre à distance sur Internet depuis leurs sites les tronçonneuses et autres débroussailleuses de marque STHIL qui était constitutive d’une pratique anticoncurrentielle par objet.
Historique de l’affaire
La décision initiale de l’Autorité date du 24 octobre 2018[1]. Elle avait sanctionné des pratiques menant à l’interdiction, dans les faits, de la vente en ligne de certains équipements électriques de jardinage.
La société Stihl avait en effet mis en place un système de distribution sélective pour ses distributeurs et avait soumis l’achat d’un certain nombre de produits considérés comme dangereux à une obligation de mise en main par laquelle le client devait se voir expliqué en personne le fonctionnement et les précautions à prendre pour l’utilisation du produit qu’il avait acheté.
Ceci interdisait de facto la vente en ligne, à moins de prévoir que la livraison serait faite par le distributeur lui-même, ce qui n’était pas envisageable. L’Autorité a donc retenu une restriction par objet, l’obligation de mise en main n’étant pas requise par la règlementation européenne ou nationale.
Elle confirme cependant que l’utilisation d’un système de distribution sélective est justifiée pour la distribution de tels équipements présentant un caractère d’une haute technicité. Le recours à ce système a en effet pour objectif d’assurer le bon usage du produit.
La Cour d’appel de Paris, saisie du recours contre cette décision, refuse, dans son arrêt du 17 octobre 2019[2], le bénéfice du principe de protection de la confiance légitime aux sociétés requérantes. Elles avaient argué que le fait que plusieurs autorités de concurrence d’autres États membres (d’Allemagne, de Suède et de Suisse), saisies de ces pratiques, avaient adopté une décision de ne pas engager de procédure formelle devait mener l’Autorité à ne pas identifier une restriction par objet et à se livrer à une analyse des effets de la pratique.
La Cour d’appel confirme ainsi cette caractérisation de restriction de concurrence par objet.
Les moyens développés par les sociétés requérantes au soutien de leur pourvoi
Les sociétés requérantes contestaient la qualification de restriction par objet et soutenaient qu’une analyse des effets était nécessaire, le contexte économique et juridique de la pratique n’ayant pas été pris en compte.
La Cour d’appel a fait grief à l’obligation de mise en main de n’avoir pas distingué entre consommateurs non expérimentés sur le maniement des produits et professionnels et de s’appliquer indifféremment aux deux groupes. Elle a estimé qu’appliquée aux professionnels, elle allait au-delà de ce qui était nécessaire. Les requérantes ont cependant répondu dans leur pourvoi que la Cour d’appel n’avait pas pris en compte l’impossibilité pour les distributeurs de contrôler le niveau d’expérience des consommateurs. Cette impossibilité aurait dû justifier l’imposition de l’obligation sans distinction de niveau d’expérience.
La Cour d’appel avait également soutenu que l’objectif de sécurisation des produits pouvait être atteint par d’autres moyens, notamment pour une assistance à distance, en s’appuyant sur la pratique d’un concurrent des requérantes. Là encore, les requérantes font griefs aux motifs de la Cour de n’avoir pas spécifié en détail en quoi ces autres moyens auraient permis de sécuriser l’usage du produit ; l’assistance en ligne pratiquée par le concurrent n’étant qu’un moyen supplémentaire d’information.
La solution adoptée par la Cour de cassation
La chambre commerciale de la Cour de cassation juge surabondants les griefs développés par les requérantes contre les arguments de la Cour d’appel selon lesquels l’assistance à distance aurait été suffisante et qu’il n’y avait pas de nécessité d’imposer cette obligation de mise en main. C’est pourtant le degré de nécessité qui doit être atteint pour qu’une telle obligation soit justifiée qu’il aurait été utile d’expliciter précisément.
La Cour de cassation rappelle ensuite toutes les constatations de la Cour d’appel pour les confirmer, établit que la Cour d’appel a procédé à toutes les vérifications d’usage et note que les analyses des autres autorités nationales de concurrence ne constituent pas une expérience acquise au sens de la jurisprudence de la CJUE pour caractériser ou non une restriction par objet.
Cet arrêt confirme donc que l’obligation de mise en main, n’étant pas justifiée pour la vente d’équipement présentant un certain degré de dangerosité, ne pourra être acceptée que dans des cas très précis.
Par Lucas Leroy et Cynthia Picart
[1] Décision 18-D-23 du 24 octobre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de matériel de motoculture
[2] Cour d’appel de Paris, 17 octobre 2019, pôle 5 chambre 7, n° 18/24456
14/03/22