Par sa décision n°20-14.000, la Cour de cassation nous donne l’occasion d’illustrer l’application de l’interdiction des accords d’importation exclusifs en Outre-mer en matière, en l’espèce, de produits de grande consommation (Cass. com. 26-1-2022 n° 20-14.000 FS-B, Sté ADLP Holding c/ Président de l’Autorité de la concurrence).
Pour mémoire, la loi Lurel du 20 novembre 2012 interdit les droits exclusifs d’importation dans les Outre-mer. Elle a pour but premier la régulation économique dans les territoires ultra-marins vis-à-vis de leurs spécificités (insularité, éloignement, étroitesse des marchés, existence de barrières à l’entrée).
A cet effet, elle instaure dans le Code de commerce l’article L.420-2-1 qui prohibe : “ les accords ou pratiques concertées ayant pour objet ou pour effet d’accorder des droits exclusifs d’importation à une entreprise ou à un groupe d’entreprises.”
L’alinéa 2 précise : “Est également prohibé dans les collectivités mentionnées au premier alinéa du présent article le fait, pour une entreprise exerçant une activité de grossiste importateur (…) d’appliquer à l’encontre d’une entreprise dont elle ne détient aucune part du capital des conditions discriminatoires relatives à des produits ou services pour lesquels existe une situation d’exclusivité d’importation de fait.”
Wallis-et-Futuna étant une collectivité d’Outre-mer au sens de la Constitution, cet article vise à y être appliqué.
En l’espèce, l’Autorité de la concurrence avait sanctionné la pratique d’un importateur grossiste qui en avait bénéficié de la part d’un fournisseur pour des produits de grande consommation jusqu’en 2015 soit trois ans après l’entrée en vigueur de la loi Lurel.
Selon les textes, la prohibition posée par L.420-2-1 ne peut sanctionner une simple exclusivité de fait comme le prétendait l’importateur grossiste devant la Cour d’appel.
Les juges du fond (Cour d’appel de Paris, 20 février 2020, 18/241787) rappellent à cette occasion la dichotomie existante entre la pratique concertée qui sera étayée de preuves documentaires ou comportementales et la simple exclusivité de fait dans laquelle aucun acte positif n’a été réalisé.
La Cour d’appel a précisé que la démonstration de ce concours de volontés devait reposer sur un faisceau d’indices graves, précis et concordants.
Le caractère probant est alors apprécié globalement. En d’autres termes, chaque élément ne devant pas nécessairement répondre à tous les critères mais que ceux-ci doivent néanmoins, dans leur ensemble, trouvait leur place dans la méthode du faisceau d’indices.
L’arrêt de la Cour d’appel mettait en exergue les différentes preuves matérialisant la pratique telles que l’ensemble des courriels échangés (mentionnant les barèmes de gros notamment) entre les deux opérateurs. Cela permettait de démontrer une attitude positive de la part de l’importateur-grossiste qui avait laissé entendre l’exclusivité conférée par l’accord à l’un de ses partenaires.
Ainsi, la Cour de cassation, dans son arrêt de rejet, ne fait droit à la demande de l’importateur qui remettait en cause l’appréciation souveraine des juges du fond vis-à-vis de l’existence dudit faisceau d’indices. Ce dernier, retenu par les juges du fond, étant suffisamment étayé pour que la prohibition posée par l’article L.420-2-1 s’applique dans les faits et soit confirmé par les juges du droit.
L’accord exclusif d’importation, ayant eu pour effet d’entraver l’implantation ou le développement d’autres importateurs-grossistes sur l’île, a également consécutivement priver le consommateur, considéré comme captif, d’un pouvoir d’achat plus conséquent.
Le dommage à l’économie découlant de la pratique étant significatif, de telle sorte qu’il a des effets sur bouclier-qualité-prix, la Cour de cassation n’a d’autre choix que de retenir la pratique incriminée par la Cour d’appel.
Par Marc Maloisel et Cynthia Picart
21/03/22