L’European Super League est un projet d’organisation d’une compétition de football fermée entre 20 des plus grands clubs de football européens qui entrerait directement en concurrence avec la Ligue des champions de l’UEFA, la compétition de football la plus prestigieuse d’Europe.
Ce projet semble être principalement motivé par des gains financiers considérables (le journal américain New York Times a ainsi rapporté que chaque équipe gagnerait plus de 400 millions d’euros en participant à la compétition)[1].
Le 18 avril 2021, l’European Super League de football a publié un communiqué de presse[2] dans lequel elle annonçait que 12 des plus grands clubs européens avaient trouvé un accord pour créer cette compétition gouvernée par ses clubs fondateurs.
Néanmoins, ce projet de compétition de football a été très mal perçu de la part de la communauté du football :
Face aux hostilités, le projet a été officiellement abandonné le 21 avril 2021.
C’est dans ce contexte que l’European Super League a assigné l’UEFA et la FIFA devant le tribunal de commerce n°17 de Madrid (Juzgado de lo mercantil)[5], qui, par décision du 20 avril 2021 a ordonné des mesures conservatoires ayant pour but de prévenir tout comportement de la part de la FIFA ou de l’UEFA d’entraver ou empêcher la mise en place de l’European Super League.
Ayant des doutes quant à la conformité au droit de l’Union européenne de dispositions statutaires de l’UEFA et de la FIFA et des menaces de sanctions sous l’angle des ententes, de l’abus de position dominante et des libertés de circulation, le tribunal a posé des questions préjudicielles à la CJUE (Affaire C-333/21 Demande de décision préjudicielle).
Dans le cadre de cette affaire pendante, l’avocat général Rantos a rendu le 15 décembre 2022 ses conclusions. Selon lui, la FIFA et l’UEFA, qui imposeraient aux équipes affiliées à l’European Super League qui souhaiteraient rester affiliées à ces dernières devraient demander un agrément, lequel ne serait ni contraire au droit de la concurrence, ni aux libertés de circulation garanties par le TFUE.
Le raisonnement de l’avocat général repose sur deux grands points :
L’avocat général reconnaît la place spécifique accordée au sport dans le droit de l’Union européenne, consacrée à l’article 165 TFUE :
« L’Union contribue à la promotion des enjeux européens du sport, tout en tenant compte de ses spécificités, de ses structures fondées sur le volontariat ainsi que de sa fonction sociale et éducative.
[…]
L’action de l’Union vise :
– à développer la dimension européenne du sport, en promouvant l’équité et l’ouverture dans les compétitions sportives et la coopération entre les organismes responsables du sport, ainsi qu’en protégeant l’intégrité physique et morale des sportifs, notamment des plus jeunes d’entre eux.
L’Union et les États membres favorisent la coopération avec les pays tiers et les organisations internationales compétentes en matière d’éducation et de sport, et en particulier avec le Conseil de l’Europe. »
Il consacre un long développement à ce sujet : à l’origine, le sport ne figure pas parmi les traités fondateurs de l’Union européenne, c’est assez récemment depuis le traité de Lisbonne que le sport fait l’objet d’un encadrement spécifique.
L’avocat général évoque la spécificité du « modèle sportif européen » à laquelle le football répond : c’est un modèle construit sur une structure pyramidale avec le sport amateur à sa base, et le sport professionnel au sommet avec des compétitions ouvertes accessibles à tous avec un système de montées et de relégations pour maintenir un équilibre sportif et privilégie le mérite. Par ailleurs, il y a aussi l’importance de la solidarité financière, avec une redistribution des revenus générées par les acteurs principaux vers les niveaux inférieurs.
Le sport étant une activité économique spécifique (permettant notamment de favoriser l’inclusion sociale, ayant une vocation éducative), les articles 101 et 102 TFUE doivent être interprétés en combinaison avec l’article 165 TFUE
La question est ici de savoir si les mesures de rétorsion envisagées par la FIFA et l’UEFA peuvent être appréhendées par le droit de l’Union européenne sous l’angle du droit des pratiques anticoncurrentielles et sous l’angle des libertés de circulation garanties par le TFUE.
La FIFA et l’UEFA voudraient imposer aux équipes qui participeraient à l’European Super League un système d’autorisation préalable pour pouvoir continuer à être affiliées à ces deux associations, ce que les requérants contestent en assimilant une telle disposition à une restriction par objet.
Toutefois, cet argument est rejeté par la Cour.
En effet, une telle disposition s’apparente à une clause de non-concurrence et d’exclusivité, avec sanction en cas de non-respect, et non pas en une pratique concertée ayant pour objet ou pour effet d’empêcher l’accès au marché à des concurrents, d’autant plus qu’il n’existe aucun obstacle juridique à la création par ceux-ci d’une compétition parallèle à la Ligue des champions de l’UEFA. La qualification de pratique concertée n’est pas retenue parler de pratique concertée et partant de là, la qualification d’entente au sens de l’article 101 TFUE doit être exclue.
De plus, l’objet et/ou l’effet restrictif de concurrence reste à démontrer : en effet, pour qu’il y ait restriction de concurrence, il faudrait que l’autorisation préalable soit nécessaire pour la création d’une compétition concurrente.
Or en l’espèce il n’existe aucun obstacle juridique à la création de l’European Super League.
En outre, il est de jurisprudence constante qu’une clause de non-concurrence n’a pas pour objet de restreindre la concurrence.
Selon l’avocat général au point 108, il ne peut être reproché à une entreprise de vouloir sauvegarder sa position concurrentielle sur le marché face à une menace potentielle, les mesures de rétorsion prévues par la FIFA et l’UEFA seraient alors légitimes, bien qu’il établisse une distinction entre les sanctions envers les joueurs, qu’il estime disproportionnées au point 121 et les sanctions envers les clubs qui seraient proportionnées.
D’autre part, sur le plan des abus de position dominante, cette qualification est également rejetée : les requérants craignent également la double position de la FIFA et de l’UEFA : ces fédérations organisent et commercialisent des compétitions sportives, disposent d’un pouvoir de régulation sur ces compétitions et détiennent une position dominante voire monopolistique sur le marché de l’organisation et de l’exploitation commerciale de compétitions internationales de club de football en Europe.
Toutefois, cette double fonction n’est pas en elle-même contraire au droit de la concurrence : en effet, un comportement anticoncurrentiel serait caractérisé par le fait d’empêcher sans raison à un tiers l’accès au marché sportif, plutôt qu’être dans une position à la fois d’organisateur et de régulateur.
Or, cette double position n’est pas en soi contraire au droit de la concurrence, et l’écosystème de la FIFA et de l’UEFA ne peut être considéré comme étant une facilité essentielle, c’est-à-dire une ressource indispensable à l’exercice d’une activité économique et non duplicable pour des raisons techniques.
Le marché intérieur de l’Union européenne « comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traités » (article 26 §2 TFUE).
Plus précisément, la libre circulation des marchandises interdit les droits de douane à l’importation et à l’exportation et toutes taxes d’effet équivalent (article 28 TFUE), la libre circulation des travailleurs interdit toute discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail, et permet de répondre à des emplois effectivement ouverts, de se déplacer pour exercer ces emplois, et de séjourner dans un Etat membre pour exercer ces emplois (article 45 TFUE), la libre prestation de service ne peut être restreinte à l’égard des ressortissants communautaires établis dans un Etat membre de l’UE et à l’égard du destinataire de la prestation (article 57 TFUE), la libre circulation des capitaux interdit les restrictions de capitaux entre les Etats membres, et les Etats membres et les pays tiers (article 63 TFUE).
Cette affaire pose aussi en creux la question de la liberté d’établissement, qui ne peut être restreinte tout comme la possibilité d’établir une agence, succursale ou filiale par un ressortissant communautaire établi sur le territoire européen (article 49 TFUE).
Par le contrôle de l’accès au marché, l’UEFA peut restreindre la liberté d’établissement et la libre prestation de services, garanties aux articles 49 et 56 TFUE et limiter la possibilité pour d’autres entreprise la possibilité d’accéder au marché de l’organisation de compétitions sportives de football.
Le système d’autorisation préalable peut également affecter la libre circulation des travailleurs garantie à l’article 45 du TFUE en rendant moins attirant l’exercice de leur droit de circulation, et risque d’affecter la libre circulation des capitaux consacrée à l’article 63 TFUE accessoirement à la liberté d’établissement où la création et la développement de la Ligue européenne de football entraînerait des financements d’institutions financières établies au sein du territoire européen qui seraient limités par les mesures de la FIFA et de l’UEFA.
De surcroît, concernant le test de proportionnalité, il faut s’assurer que la restriction est proportionnée au but poursuivi et être fondée sur des critères objectifs et non discriminatoires, ce qui semble être le cas en l’espèce.
Toutefois, ces restrictions pourraient être justifiées selon l’avocat général : il y voit comme justifications la régularité des compétitions, leur bon déroulement, le maintien de l’équilibre entre les clubs, assurer l’égalité des chances, ou encore la préservation de l’incertitude des résultats.
Par Jean-Paul Tjien et Cynthia Picart
[1] European Super League Will Include Real Madrid and Six Premier League Teams – The New York Times (nytimes.com)
[2] The Super League – Press Release
[3] Communiqué de la FFF et de la LFP
[4] Communiqué de l’UEFA, de l’Association anglaise de football, de la Premier League, de la Fédération royale espagnole de football, (RFEF), de LaLiga, de l’Association italienne de football (FIGC) et de la Lega Serie A | Dans les coulisses de l’UEFA | UEFA.com
[5] Affaire C-333/21 (europa.eu)
[6] Interview d’Athanasios Rantos, avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne – blogdroiteuropéen (blogdroiteuropeen.com)
23/01/23