Interprétation restrictive de la notion de restriction de concurrence par objet

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La Cour de cassation a adopté dans une décision récente une interprétation restrictive de la concurrence par l’objet, limitant ainsi la possibilité pour l’Autorité de la concurrence de recourir à cette notion.

Il était question en l’espèce de la mise en place dans le secteur interbancaire du système “d’Echange Images Chèques” (EIC), qui permet une compensation dématérialisée entre les banques remettantes de chèque et les banques tirées.

L’Autorité de la concurrence, confirmée par une décision de la Cour d’appel, avait qualifié cette pratique de restriction de concurrence par l’objet, ce qui la dispense de prouver l’effet anticoncurrentiel, qui est alors présumé.

L’Autorité justifie sa décision au regard du fait que du côté des banques remettantes, la pratique limitait l’offre sur le marché de la remise de chèque, et que la commission pouvait donc potentiellement être répercutée sur les prix finaux. Par ailleurs, cette pratique figeait le jeu de la concurrence entre les banques tirées, en créant un revenu artificiel pour ces dernières.

Par une décision du 29 janvier 2020 (Cass, com, n°8-10.967 et 18-11.001), la Cour de cassation rejette la qualification de restriction de concurrence par l’objet. Elle juge la justification de la Cour d’appel insuffisante. La Cour ne pouvait présumer l’effet anticoncurrentiel de la pratique alors même qu’aucune “expérience acquise” ne permettait de prouver que l’usage de commissions interbancaires avait réellement une répercussion sur le prix final.

En d’autres termes, il ne peut être fait usage de la notion de restriction de la concurrence par l’objet que lorsque des décisions antérieures ont déjà consacré l’effet anticoncurrentiel de la pratique.

La Cour de cassation se montre donc prudente en tentant de limiter l’usage de la restriction par l’objet : cette notion, puisqu’elle dispense l’Autorité de toute preuve de l’effet anticoncurrentiel, doit donc être utilisée avec précaution et ne doit pas constituer un moyen de contourner les exigences probatoires en matière d’entente.

Cette solution est par ailleurs en cohérence avec la jurisprudence européenne, puisque la Cour de Justice dans l’affaire “Groupements des cartes bancaires” (CJUE, 11 septembre 2014, C-67/13P) retient un principe d’interprétation stricte de la restriction par l’objet, en exigeant qu’elle ne soit appliquée “qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence”.

L’exigence d’une “expérience acquise” pourrait cependant s’avérer peu adaptée dans certains cas, en particulier lorsqu’une pratique, bien qu’inédite, a un effet anticoncurrentiel certain.

Par ailleurs, la définition d’ ”expérience acquise” reste en elle-même trop floue, puisque la question de savoir si les pratiques traitées peuvent être considérées comme similaires à des pratiques condamnées antérieurement relèverait alors de l’entière discrétion de l’Autorité.

 


10/02/20

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