Sujet brûlant d’actualité, la blockchain est une technologie qui fait beaucoup parler d’elle, que cela soit à raison des problématiques liées aux cryptomonnaies ou récemment de son usage dans le monde de l’art contemporain avec l’arrivée fracassante des NFT (« non-fungible token »), illustrée par la vente record de la maison Christie’s d’une œuvre numérique de Beeple au mois de mars dernier pour un montant de 69 millions de dollars.
Le NFT, renvoyant à une œuvre virtuelle dont l’authenticité et la traçabilité sont garanties grâce à la technologie blockchain, est remis à son acquéreur qui peut par la suite l’échanger. Selon une étude menée par NonFungible et L’Atelier BNP Paribas, le montant des transactions sur le marché des NFT s’est élevé à 250 millions de dollars en 2020, contre 63 millions en 2019.
La blockchain conquiert ainsi jour après jour de nouveaux domaines d’application et suscite désormais un intérêt croissant qui dépasse le simple secteur de la finance. Se pose cependant la question de son encadrement juridique qui suscite en France notamment l’incertitude.
La blockchain, qu’est-ce que c’est ?
La technologie blockchain, ou « chaîne de blocs », ou encore « dispositif d’enregistrement électronique partagé » (DEEP), est une technique mêlant informatique, stockage et cryptographie. Elle s’est fait connaître avec l’apparition de cryptomonnaies, notamment le Bitcoin et l’Ethereum.
De manière très simple, il s’agit d’un registre d’informations (base de données) permettant de consigner et de suivre des transactions. Partagé, il est décentralisé et distribué entre un certain nombre de personnes que l’on appelle les mineurs : il existe autant de copies du registre que de mineurs, dont chacun utilise un ordinateur que l’on appelle un nœud. Les mineurs participent à la construction du registre, en permettant d’authentifier les transactions.
Concrètement, le mineur met à la disposition de la communauté la puissance de calcul de son ordinateur pour résoudre des équations mathématiques indispensables à la construction de la chaîne.
Cette chaîne de blocs participe à la création d’un registre fiable et transparent en permettant aux différentes parties à une transaction de vérifier au préalable ce qui sera inscrit dans le registre sans qu’aucune de ces parties n’ait la possibilité de modifier les données après saisie.
Du point de vue de l’information, la véritable innovation de la technologie des registres distribués réside dans le fait qu’elle garantit l’intégrité des registres en recourant au « crowdsourcing » (la production participative), ce qui la dispense d’un organe central de contrôle.
En conséquence, les transactions sont vérifiées et validées par les multiples ordinateurs qui hébergent la blockchain.
C’est pourquoi la technologie blockchain est considérée comme quasiment impossible à pirater puisque pour réussir à modifier les données d’un registre, une cyberattaque devrait venir frapper (presque) toutes les copies simultanément.
Ces chaînes de blocs sont soit publiques (ouvertes à tous et anonyme) soit privées, et parfois même permissionnées (comme certains établissements financiers par exemple) à savoir que seuls certains membres autorisés pourront en assurer l’administration.
Quel est l’objectif d’une telle technologie ?
Les principes de base de la technologie blockchain sont nés de revendications politiques dites « crypto-anarchistes » : l’objectif initial était de contourner les Etats (dont on considérait qu’ils pouvaient « bloquer » les évolutions technologiques), et renverser la suprématie des GAFAM dont la gestion verticale est floue.
Suivant cette philosophie libertarienne, la décentralisation et la cryptographie anonyme permettent de rectifier l’asymétrie de pouvoir entre institutions/organisation et les citoyens qui deviennent partie prenante aux transactions en offrant une gestion très sûre de l’information sans qu’une autorité centrale en soit garante et apportant une solution au problème de la confiance entre acteurs ayant des intérêts différents.
La blockchain, comment ça marche ?
La blockchain permet à ses utilisateurs de partager des données, des informations, sans intermédiaire.
En pratique, la blockchain s’apparente à une immense base de données retraçant l’intégralité des échanges entre ses utilisateurs.
Plus concrètement, les étapes de transfert sont les suivants :
– Un utilisateur A, anonyme, souhaite faire une transaction avec un utilisateur B. Chacun doit s’identifier via un procédé cryptographique ;
– Par la suite, la transaction sera envoyée à un “nœud” (soit un ordinateur permettant de stocker les données et l’historique des transactions, consultables par les parties prenantes) ;
– Chaque ajout d’information est soumis à un mécanisme de consensus de tous les nœuds. Cette sécurisation est rendue possible par l’activité de minage : les nouvelles données sont déchiffrées et authentifiées par des “mineurs” devant résoudre des énigmes cryptographiques (permettant d’attester que le travail de minage a été sérieusement fait). Le « mineur » envoie, par la suite, un message à la plateforme pour avertir de l’actualisation des valeurs.
– La transaction est finalement validée puis ajoutée dans la base sous forme d’un bloc de données chiffrées (« block »chain). Chaque bloc est daté puis ajouté à la chaine de blocs à laquelle les utilisateurs ont accès.
– L’utilisateur B recevra la transaction de l’utilisateur A.
Cette technologie se rencontre aussi bien dans le secteur financier et bancaire que dans le secteur de l’assurance ou de la logistique mais également dans le luxe : entre automatisation des procédures et traçabilité des produits, la blockchain semble présenter de nombreux avantages. En créant une chaîne d’informations sûres, horodatées et immuables, elle a en effet déjà trouvé sa place dans de nombreux domaines.
QUELS SONT LES ENJEUX JURIDIQUES LIES A L’ESSOR DE LA BLOCKCHAIN ?
La blockchain peut comprendre des données très diverses, telles que des cryptomonnaies, des transactions, de l’information contractuelle ou des fichiers de données, de photos ou de vidéos, et ne cesse de progresser.
Toutefois, l’expansion d’une telle technologie en l’absence de cadre à proprement parler, à savoir de règles précises applicables à la blockchain, crée des incertitudes juridiques.
La décentralisation des transactions fait notamment émerger des problématiques en termes de droit applicable et de compétence juridictionnelle. Le territoire physique étant un des critères de détermination d’applicabilité du droit, il est difficile de déterminer le droit applicable au numérique.
De plus, l’anonymat et le pseudonymat caractéristiques de toute blockchain ne permettent pas non plus de déterminer les juridictions compétentes en cas de conflit.
Bien que le lieu d’emplacement des serveurs soit de plus en plus considéré comme le point de rattachement, la création des ODR (Online Dispute Resolution) a pu permettre de régler une partie des problématiques juridiques soulevées par la blockchain.
La décentralisation n’est cependant pas la seule problématique soulevée par la technologie blockchain : la nature et le régime juridique des cryptomonnaies est non seulement différent selon les pays, mais également mal déterminé, de la même manière s’agissant du statut juridique du smart contract ou encore celui de la blockchain en tant que registre.
Les questions de sécurité des données et de la protection de la vie privée peuvent également se poser.
Faute de cadre juridique clair, tout cela nécessite in fine des analyses juridiques au cas par cas des différentes situations rencontrées en fonction des usages qui sont fait de la blockchain.
Bien que la blockchain ouvre de nombreuses perspectives et apparaisse d’ores et déjà comme une nouvelle solution pertinente à la protection notamment des droits de propriété intellectuelle ou du secret des affaires, plusieurs obstacles restent donc à lever pour une application généralisée de cette technologie.
Les réflexions sur la portée et la valeur juridiques de la blockchain sont nombreuses tant en France comme qu’au niveau de l’Union Européenne.
A cet égard, la France a su s’illustrer assez tôt notamment en droit financier par la parution de l’ordonnance n° 2016-520 du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse. La Commission européenne a également adopté le 24 septembre 2020 un nouvel ensemble de mesures sur la finance numérique, comprenant des stratégies en matière de finance numérique et de paiements de détail ainsi que des propositions législatives relatives aux crypto-actifs et à la résilience numérique (« Digital Finance Package »).
Toutefois, la législation reste à advenir.
Or, compte tenu de l’essor croissant de la blockchain et de sa source d’opportunité, il devient urgent de relever ce défi législatif.
Il en va de la compétitivité des entreprises françaises et européennes qui, faute de régimes juridiques adaptés assurant leur sécurité juridique, risquent d’être freinées dans leur usage de la blockchain et dans la valorisation de leurs activités y afférente.
Par Cynthia Picart et Laurane Farrugia
05/05/21