Les contrats d’affaires à l’épreuve du Covid-19

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La crise sanitaire mondiale que nous traversons est sans précédent sur l’économie et les relations d’affaires qu’elle malmène. Elle suscite de nombreuses interrogations sur le sort des contrats conclus avant sa survenance et dont elle impacte l’exécution.

Or, les règles applicables en matière contractuelle aux situations résultant de la crise du coronavirus ne sont pas toujours très claires.

Ainsi, sous quelles conditions peut-on déroger à ses obligations contractuelles ? Quels sont les recours possibles en cas de non-respect par un cocontractant de ses obligations contractuelles ? Imprévision, force majeure et dispositions spécifiques résultant de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, ordonnance et décret pris par le Gouvernement français respectivement les 25 et 30 mars 2020, tels sont les thèmes abordés ci-après pour répondre à ces interrogations.

L’exécution du contrat est devenue impossible : le recours à la force majeure comme remède

En cas d’impossibilité d’exécuter le contrat, il est possible de recourir à la force majeure, prévue par l’article 1218 du Code civil. Elle permet en effet de suspendre l’exécution des obligations contractuelles si les conditions cumulatives suivantes sont remplies, à avoir un élément extérieur, imprévisible et irrésistible rendant l’exécution du contrat temporairement ou définitivement impossible.

Comme cela ressort de la jurisprudence constante concernant des affaires ayant trait à des situations causées au cours des différentes épidémies et pandémie auxquelles la France a été confrontée (Dengue, Grippe H1N1, SRAS, etc.), une épidémie ne peut automatiquement être considérée comme un cas de force majeure.

Néanmoins, si d’autres épidémies se sont vu refuser dans le passé une telle qualification, l’épidémie actuelle de coronavirus, du fait de son caractère inédit et des mesures exceptionnelles prises par le Gouvernement et l’état d’urgence dans lequel est placé la France, pourrait peut-être infléchir la jurisprudence relative aux épidémies précitée et l’appréciation des juges.

Une décision du 12 mars 2020 de la Cour d’appel de Colmar (Colmar, 6e ch., 12 mars 2020, n° 20/01098) a d’ailleurs consacré le fait que les circonstances actuelles, (“extérieures, imprévisibles et irrésistibles”) relevaient de la force majeure, en justifiant le déroulement d’une audience en l’absence du principal intéressé par le fait qu’il avait été exposé au coronavirus.

Bien que cette décision ne concerne pas la matière commerciale, une telle appréciation pourrait être transposable en matière contractuelle dans les limites néanmoins des dispositions contractuelles et de la loi.

Attention plusieurs précautions sont à prendre avant d’invoquer la force majeure.

Tout d’abord, il convient de s’assurer que le contrat ne contient pas une clause de force majeure rédigée de manière restrictive qui exclurait l’hypothèse d’une crise sanitaire, voire une clause écartant la force majeure (obligation de garantie).

Ensuite, pour satisfaire à l’exigence d’imprévisibilité, il convient de s’assurer qu’il n’était pas possible au moment de la signature du contrat, de connaître l’existence de la crise sanitaire et d’anticiper les mesures sanitaires rendant le contrat inexécutable.

Par ailleurs, si l’épidémie de virus répond bien aux critères d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité, encore faut-il prouver l’insurmontabilité, c’est à dire le fait que l’épidémie ait rendu l’exécution du contrat strictement impossible.

La jurisprudence est exigeante sur ce point, puisqu’il convient de démontrer qu’aucune solution alternative n’est possible pour satisfaire à son obligation.

Enfin, il est également nécessaire de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre l’épidémie et l’impossibilité d’exécuter le contrat.

Quelles sont les conséquences du recours à la force majeure ?

Il est nécessaire de retenir que la force majeure conduit seulement à une suspension, et non à une résiliation, du contrat. Ainsi, les relations commerciales devraient reprendre avec la fin de l’épidémie.

A l’inverse, le fait de ne pas reprendre l’exécution de ses obligations à la cessation de l’empêchement pourrait être assimilé à une rupture des relations commerciales établies. Bien entendu, dans certain cas le retard d’exécution du contrat lié à l’épidémie peut rendre le contrat sans objet, dès lors la survenance de la force majeure conduira à la résiliation du contrat.

A l’inverse, quels sont vos droits si votre cocontractant suspend le contrat pour force majeure ?

Si une partie suspend le contrat pour force majeure, l’autre partie à droit de suspendre l’exécution de ses obligations, par exemple une obligation de payer une somme d’argent, en vertu de l’exception d’inexécution prévue par l’article 1219 du Code civil.

 

L’exécution du contrat est devenue trop couteuse : le recours à l’imprévision comme levier de renégociation du contrat

Dans une telle hypothèse, la force majeure ne saurait valablement être invoquée, en revanche l’imprévision pourrait dans certaines conditions être invoquée.

Pour mémoire, l’article 1195 du Code civil, issu de la réforme du droit des contrats entrée en vigueur le 1er octobre 2016, prévoit que :

« si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au Juge de procéder à l’adaptation du contrat. À défaut, une partie peut demander au Juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».

Par définition, l’imprévision suppose donc la réunion de plusieurs conditions parmi lesquelles figure un changement de circonstances imprévisible au moment de la formation du contrat afin d’obtenir du cocontractant une renégociation du contrat.

En effet, si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement couteuse pour une partie, cette dernière peut demander à renégocier les conditions contractuelles.

L’imprévision s’évalue selon les mêmes modalités que la force majeure, la seule différence étant que l’exécution ne devient pas absolument impossible, mais seulement excessivement onéreuse.

Le caractère excessivement onéreux s’apprécie soit de manière objective, c’est à dire lorsqu’un déséquilibre majeur se crée entre les parties au sein du contrat, soit de manière subjective, en fonction des capacités de la partie.

L’appréciation subjective va donc permettre d’appliquer l’imprévision aux sommes d’argent dues, ce qui n’est pas permis par la force majeure.

Comment invoquer l’imprévision ?

Tout d’abord, il convient de vérifier que son application n’a pas été écartée par une clause spécifique du contrat. De plus, l’imprévision ne peut concerner que les contrats conclus ou renouvelés après le 1er octobre 2016.

Si les conditions sont remplies, la partie lésée peut demander une renégociation du contrat à l’autre partie, qui est libre de l’accepter ou de la refuser. Si elle accepte, les obligations relatives au contrat ne sont pas suspendues durant le processus de négociation. Les parties peuvent très bien négocier une adaptation temporaire (qui ne couvre par exemple que la période du confinement).

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent s’accorder sur sa résiliation ou encore faire appel à l’intervention du juge qui procédera à l’adaptation du contrat (cette hypothèse est cependant à éviter en ces temps d’incertitude quant au fonctionnement du système judiciaire, et nous encourageons dès lors les entreprises à privilégier grandement la négociation).

A noter : s’il vous est impossible au regard du contrat d’invoquer l’imprévision, il est toujours possible de solliciter une renégociation amiable.

Les mesures particulières mises en place pour certains types de contrats

Les circonstances actuelles ont conduit les pouvoirs publics à adopter des ordonnances destinées à aider les entreprises affectées financièrement.

Les contrats relatifs au loyers, facture d’eau, de gaz et d’électricité des locaux professionnelles (Ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020, décret n°2020-371 du 30 mars 2020 et décret n°2020-378 du 31 mars 2020)

Il est prévu la suspension, l’interruption et la réduction de la fourniture d’électricité, de gaz et d’eau pour les locaux des entreprises affectées par la crise. Les entreprises peuvent demander l’échelonnement dans le temps du paiement des factures correspondantes, sans pénalité.

Attention, seules certaines entreprises peuvent bénéficier des mesures édictées par l’ordonnance n°2020-316 du 25 mars 2020, à savoir celles susceptibles de bénéficier du Fonds de solidarité et qui remplissent les critères d’éligibilité fixés par le décret n°2020-371 du 30 mars 2020 et soient en mesure d’en justifier comme le prévoit le décret n°2020-378 du 31 mars 2020.

Par ailleurs, l’ordonnance prévoit la cessation de l’application de pénalités financières, de dommages et intérêts, d’exécution de clause résolutoire ou de clause pénale ou d’activation des garanties ou cautions, en raison du défaut de paiement de loyers ou de charges locatives afférents aux locaux professionnels et commerciaux de ces entreprises.

Les contrats de vente de voyage et de séjours ainsi que les contrats de service de voyage (Ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020)

En cas de résolution du contrat, l’organisateur, le détaillant ou l’offreur de service peut proposer, à la place du remboursement de l’intégralité des paiements effectués, un avoir que le client pourra utiliser. Lorsque cet avoir est proposé, le client ne peut solliciter le remboursement de ses paiements, sauf s’il ne l’utilise pas auquel cas, il pourra solliciter à l’issue de sa période de validité, soit 18 mois, le remboursement de l’ensemble des sommes correspondantes au voyage annulé.

Par Cynthia Picart


06/04/20

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