Les dispositions de l’article L. 442-1, I, 1° du code de commerce sont-elles conformes à la Constitution ?

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Avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné : la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité posée par Amazon dans le cadre d’un différend l’opposant à l’institut de liaisons et d’études des industries de consommation (ILEC) (Cass.Com., 7 juillet 2022, n° 22-40.010).

 

La question prioritaire de constitutionnalité ainsi renvoyée au Conseil Constitutionnel [1], était ainsi formulée :

 

« Les dispositions de l’article L. 442-1, I, 1° du code de commerce, prises dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 et maintenue inchangée par les lois n° 2020-1508 du 3 décembre 2020, n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 et n° 2021-1357 du 18 octobre 2021, méconnaissent-elles les droits et libertés garanties par la Constitution telles que la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle, le principe d’égalité devant la loi, la garantie des droits et le principe de légalité des peines ? »

 

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé le 6 octobre dernier sur cette question [2].

 

Dans le prolongement de notre précédent article « Amazon interroge la constitutionnalité de l’article L. 442-1, I, 1° du Code de commerce », voici ce qu’il faut retenir de cette dernière décision.

 

Pour rappel

 

L’article L. 442-1, I, 1° du Code de commerce dispose qu’« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé par le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services : d’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ».

 

Amazon soulevait le défaut de constitutionnalité de ces dispositions pour trois raisons exposées dans notre article précité, mais pour les citer :

 

  • Ces dispositions auraient méconnu la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle[3] dans la mesure où elles auraient pu fonder un contrôle juridictionnel généralisé de l’équivalence des avantages recherchés ou reçus par un cocontractant à la valeur de la contrepartie stipulée en faveur de l’autre, sans que ne soit recherché si l’un des cocontractants avait tenté de soumettre l’autre à son pouvoir.

 

  • Elles auraient également privé des garanties attachées à la liberté d’entreprendre, à la liberté contractuelle et au principe d’égalité devant la loi[4] et auraient méconnu l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi[5] en s’abstenant de préciser le seuil à partir duquel un avantage reçu ou recherché doit être regardé comme « manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie».

 

  • Par ailleurs, compte tenu de l’imprécision de la notion d’ « avantage manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie » et de l’ampleur de l’amende civile encourue[6], elles auraient ainsi méconnu le principe de légalité des délits et des peines[7].

 

lA conformité DES DISPOSITIONS à la Constitution

 

Réexposant les motivations d’Amazon et signalant particulièrement que la place de marché numérique visait la méconnaissance par ces dispositions de la liberté contractuelle et de la liberté d’entreprendre, le Conseil répond qu’en adoptant ces dispositions, le législateur avait souhaité réprimer certaines pratiques restrictives de concurrence et assurer un équilibre des relations commerciales pour préserver l’ordre public économique[8].

 

Il précise aussi que ces dispositions permettent bien au juge de contrôler les conditions économiques de la relation commerciale pour constater une pratique illicite tenant à l’obtention d’un avantage dépourvu de contrepartie, soit manifestement disproportionné, lorsqu’il est saisi[9]. Le Conseil rapporte également que la notion « d’avantage manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie » ne présenterait pas non plus de caractère imprécis ou équivoque.

 

Aussi, la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines[10] au même titre que l’atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre de ces dispositions ne sauraient être retenues[11].

 

Que déduire de cette décision ?

 

Concernant le contrôle par le juge des conditions économiques de la relation commerciale, aucun pouvoir de révision du prix ou de réfaction du contrat n’est conféré au juge[12]. Il ne sera chargé que d’évaluer une disproportion, manifeste, entre certaines obligations[13].

 

Par ailleurs, Le Conseil a aussi précisé que la notion d’avantage « manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie » repose sur des termes courants utilisés dès 2001 par le législateur afin de faire disparaître certaines pratiques commerciales entre fournisseurs et distributeurs et reprend un standard juridique classique[14].

 

Aussi faut-il comprendre que l’avantage manifestement disproportionné pourra être apprécié au regard des textes antérieurs et de la jurisprudence rendue sur leur fondement.

 

En conclusion, cette décision rappelle la motivation du législateur à protéger la partie faible à une relation commerciale qui ne disposerait pas de moyens de négociation similaires à la partie forte plus apte à requérir de cette dernière une contrepartie fictive ou dérisoire.

 

 

Par Anne Schmitt et Cynthia Picart

 

 

[1] Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 7 juillet 2022, n° 22-40.010

[2] Conseil constitutionnel, 6 octobre 2022, décision n° 2022-1011, Question prioritaire de constitutionnalité, Société Amazon EU, Avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné

[3] Garanties par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789

[4] Affirmé par l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789

[5] Découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de la Constitution

[6] « Amende dont le montant ne peut excéder le plus élevé des trois montants suivants :
– cinq millions d’euros ;
– le triple du montant des avantages indûment perçus ou obtenus ;
– 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre » (in Conseil constitutionnel, commentaire de la décision n° 2022-1011 QPC du 6 octobre 2022 (Société Amazon EU, Avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné), p. 3, nbp 14, (consulté le 15.11.2022)

[7] Découlant de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme

[8] Conseil constitutionnel, 6 octobre 2022, décision n° 2022-1011, Question prioritaire de constitutionnalité, Société Amazon EU, Avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné, point 5

[9] Conseil constitutionnel, 6 octobre 2022, décision n° 2022-1011, Question prioritaire de constitutionnalité, Société Amazon EU, Avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné, point 6

[10] Conseil constitutionnel, 6 octobre 2022, décision n° 2022-1011, Question prioritaire de constitutionnalité, Société Amazon EU, Avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné, point 9

[11] Conseil constitutionnel, 6 octobre 2022, décision n° 2022-1011, Question prioritaire de constitutionnalité, Société Amazon EU, Avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné, point 7

[12] Le commentaire de cette décision publié par le Conseil constitutionnel a donné plus de précisions quant aux éléments lui ayant permis de conclure à la conformité du texte à la Constitution, Conseil constitutionnel, commentaire de la décision n° 2022-1011 QPC du 6 octobre 2022 (Société Amazon EU, Avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné), consulté le 15.11.2022

[13] Conseil constitutionnel, commentaire de la décision n° 2022-1011 QPC du 6 octobre 2022 (Société Amazon EU, Avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné), p. 17, consulté le 15.11.2022

[14] Conseil constitutionnel, commentaire de la décision n° 2022-1011 QPC du 6 octobre 2022 (Société Amazon EU, Avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné), p. 18, consulté le 15.11.2022


05/11/22

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