Les acquisitions prédatrices (ou « Killer Acquisitions ») désignent un phénomène nouveau du droit de la concurrence par lequel une grande entreprise rachète une start-up innovante dans l’objectif d’éliminer cette dernière, qui malgré un faible pouvoir de marché risque de représenter une concurrence réelle dans le futur.
Ce type d’acquisition est particulièrement pratiqué dans les secteurs pour lesquels l’innovation occupe une place prépondérante, comme les secteurs pharmaceutique ou numérique.
Ces acquisitions soulignent une contradiction du droit de la concurrence actuel dans la mesure où bien qu’elles aient une visée anticoncurrentielle, elles ne sont pas contrôlables par les autorités de concurrence faute d’atteindre les seuils de notification, qui sont actuellement basés sur le chiffre d’affaire des entreprises.
Les acquisitions prédatrices font aujourd’hui l’objet de réflexions poussées afin de déjouer ce phénomène qui pourrait devenir une des principales sources de préoccupation en matière de concurrence dans les années à venir.
Ainsi, au niveau européen, l’Allemagne et l’Autriche ont modifié leurs critères en matière de contrôle des concentration s’agissant du seuil de notification de l’opération en mettant l’accent sur la valeur de la transaction plutôt que sur le chiffre d’affaires des entreprises concernées par l’opération. Les acquisitions prédatrices se caractérisent en effet souvent par un prix de rachat totalement disproportionné par rapport à la valeur de l’entreprise absorbée ; rien de moins étonnant dans la mesure où le but de l’entreprise prédatrice n’est pas d’augmenter son chiffre d’affaires, mais bien d’éliminer à tout prix un futur concurrent.
On peut prendre pour exemple l’emblématique rachat de WhatsApp par Facebook en 2014 pour un montant de 19 milliards de dollars, ce qui représentait alors plus de 2000 fois l’investissement de départ de WhatsApp en 2009.
La prise en compte de la valeur de la transaction peut cependant s’avérer problématique dans la mesure où les acquisitions de start-up par des grandes entreprises s’avèrent dans la plupart des cas tout à fait pro-concurrentielles. Elles contribuent en effet grandement à une innovation rapide, les start-up étant incitées à prendre de hauts risques en matière d’innovation dans le but d’être rapidement rachetées à un prix bien supérieur à leur investissement initial.
Or, l’incitation de rachat pour les grandes entreprises est bien évidemment renforcée par l’absence d’obligation de notifier l’acquisition. La révision du critère du seuil pourrait donc s’avérer très peu efficiente puisque ces nouvelles contraintes administratives viendraient freiner l’ensemble de ces comportements porteurs d’innovation au motif de viser celles, très minoritaires, réalisées pour un motif anticoncurrentiel. C’est pour cette raison que la Commission et l’Autorité française de la concurrence se sont toutes deux montrées réticentes à la révision des critères du seuil.
Pour contrecarrer le problème posé par un lourd contrôle a priori, il pourrait alors être envisagé une révision des textes dans le sens d’un contrôle ciblé ex post. C’est ce qui a été préconisé par la France, l’Allemagne et la Pologne dans leur rapport conjoint adressé à la Commission en mai 2019 (Moderniser la politique de la concurrence de l’Union européenne). L’Inspection générale des finances suggère à cet égard qu’un critère efficace pour un tel contrôle serait le rapport entre la valeur de la transaction et le chiffre d’affaires de l’entreprise absorbée (Rapport d’avril 2019 « La politique de la concurrence et les intérêts stratégiques de l’Union Européenne).
Par ailleurs, il est également envisageable d’adopter un contrôle ciblé a priori en obligeant uniquement les entreprises les plus susceptibles de procéder à des acquisitions prédatrices à notifier leurs acquisitions.
Des sénateurs français ont récemment proposé d’établir une liste d’entreprises dites “systémiques” qui devront informer l’Autorité de toute concentration, même celles ne répondant pas aux seuils basés sur le chiffre d’affaires (cf. Proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace).
Comme souligné par le Conseil d’Etat, qui a rendu un avis sur la proposition de loi, le point le plus délicat serait alors de veiller à établir des critères absolument objectifs pour déterminer quelles entreprises seront qualifiées de systémiques, au risque de créer un système arbitraire.
Sujet épineux à suivre …
Par Cynthia Picart
16/03/20