Cartel des endives : nouveaux rebondissements

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Historique de l’affaire

 

C’est sur renvoi après cassation que la Cour d’appel de Paris a rendu son arrêt le 1er juillet 2021 dans l’affaire désormais célèbre des endives.

 

On se souvient que la Cour de cassation, qui se prononçait après un arrêt rendu par la CJUE le 14 novembre 2017 sur demande préjudicielle, avait censuré le premier arrêt rendu par cette Cour d’appel qui avait réformé la décision rendue par l’Autorité sanctionnant les mises en cause à hauteur de 4 millions d’euros environ.

 

Dans son arrêt, la CJUE appliquait strictement le régime dérogatoire propre au secteur agricole et précisait que même si les pratiques des organisations de producteurs (OP) et associations d’organisations de producteurs (AOP) dans le secteur des fruits et légumes pouvaient aboutir à une forme de coordination et de concentration entre producteurs agricoles, elles poursuivent toutefois les objectifs de la politique agricole commune, de sorte que, sous réserve d’être strictement proportionnées, elles devaient échapper à l’application de l’article 101&1 du TFUE.

 

Une telle dérogation, d’interprétation stricte, était donc uniquement possible si (i) l’OP ou l’AOP était reconnue par un État membre, (ii) la pratique était mise en œuvre au sein d’une même OP/AOP et non pas entre OP et AOP (« purement interne »), (iii) les statuts de l’OP/AOP prévoyaient expressément la réalisation de l’un des objectifs de l’organisation commune du marché (OCM)[1] concerné et (iv) la pratique était strictement nécessaire à l’accomplissement de leurs missions.

 

C’est ainsi que sont soumises à l’article 101§1 du TFUE les pratiques portant sur la fixation collective de prix minima de vente, sur une concertation sur les quantités mises sur le marché ou sur des échanges d’informations stratégiques, lorsqu’elles sont convenues entre différentes OP/AOP ou avec des entités non reconnues par les États membres.

 

A l’inverse, de telles pratiques, convenues et mises en œuvre au sein d’une même OP/AOP, reconnue par les États membres et strictement nécessaires à la poursuite du ou des objectifs de l’OCM ne sont pas soumises au droit des ententes.

 

Analyse des pratiques en cause au cas par cas

 

Appliquant la grille d’analyse délivrée par la CJUE, la Cour d’appel conclut que c’est à juste titre que l’Autorité a retenu que les règles de concurrence s’appliquaient aux pratiques portant sur :

 

  • les échanges d’informations stratégiques au moyen du système Infocl@r, ayant impliqué le Celfnord, la SNE, l ‘APVE, la FNPE, puis, la société Groupe Perle du Nord et la FCE et l’ APEF, dès lors qu’ils n’étaient pas purement internes, ont impliqué des entités non reconnues et ont excédé ce qui était nécessaire à l’accomplissement des missions confiées au Celfnord dans le cadre de la mise en œuvre de la PAC.
  • les dénaturations obligatoires qui sont intervenues entre le 1er septembre 2000 et le 17 juin 2007 et qui ont impliqué le Celfnord, la SNE et la Cérafel (n’apparaissent pas purement internes et sont allées au-delà de ce qui était strictement nécessaire pour réguler les prix) ;
  • le prix minimum et le cours dit « pivot », ayant impliqué le Celfnord, la SNE et la FNPE (n’apparaissent pas purement internes et sont allées au-delà de ce qui était strictement nécessaire pour réguler les prix) ;
  • la bourse aux échanges et le cadran bourse (incluant la fixation d’un prix minimum dit « cours de production » et d’un prix dit « cliquet ») ayant impliqué le Celfnord, la SNE, la FCE et la FNPE (n’apparaissent pas purement internes et sont allées au-delà de ce qui était strictement nécessaire pour réguler les prix) ;
  • les offres promotionnelles, intervenues entre le 30 mai 2000 et le 24 décembre 2008, ayant impliqué le Celfnord, la SNE, la FNPE, puis, à partir de 2005, la FCE, et à compter du 28 août 2008, l’ APEF (n’apparaissent pas purement internes et sont allées au-delà de ce qui était strictement nécessaire pour réguler les prix) ;
  • le prix dit « de retrait », intervenues entre le 28 août et le 24 décembre 2008, ayant impliqué l’ APEF (n’apparaissent pas purement internes et sont allées au-delà de ce qui était strictement nécessaire pour réguler les prix) ;
  • le prix des endives de la marque « Perle du Nord », ayant impliqué la société Groupe Perle du Nord (n’apparaissent pas purement internes et sont allées au-delà de ce qui était strictement nécessaire pour réguler les prix) ; et
  • le prix des endives de la marque « Carmine », ayant impliqué la SNE, la FNPE et le Celfnord (n’apparaissent pas purement internes et sont allées au-delà de ce qui était strictement nécessaire pour réguler les prix).

 

En revanche, contrairement à ce qu’a retenu l’Autorité, échappent au champ d’application des règles de concurrence les pratiques suivantes :

 

  • les pratiques portant sur les dénaturations obligatoires qui sont intervenues entre le 1er septembre 1998 et le 1er septembre 2000 et ont impliqué le Celfnord (pendant cette période, les arrêtés d’extension aux producteurs indépendants étaient en vigueur) ;
  • les pratiques portant sur les offres promotionnelles qui seraient intervenues à compter du 24 décembre 2008 et auraient impliqué l’ APEF (faute d’éléments précis sur cette période) ; et
  • les pratiques portant sur le prix dit « de retrait », qui seraient intervenues à compter du 24 décembre 2008 et auraient impliqué l’ APEF (purement internes).

 

La qualification d’infraction unique, complexe et continue

 

Au stade de la qualification de l’infraction, la Cour d’appel précise qu’en dépit de la diversité des pratiques et des entités mises en cause, « les pratiques reprochées présentaient non seulement de fortes similitudes, mais, bien plus, un lien de complémentarité, en ce que chacune d’elles était destinée à s’opposer aux conséquences du jeu normal de la concurrence, en contribuant par une interaction entre elles, à la fixation et au maintien, d’une manière artificielle, d’un certain niveau du prix de vente à la production des endives » (§479).

 

Elle en déduit, en conséquence, que ces similitudes et ce lien de complémentarité étayent l’existence d’un « plan d’ensemble » poursuivant un objectif unique, « consistant à soustraire la fixation du prix de l’endive au libre jeu du marché, au-delà de l’objectif de régulation des prix » (§480).

 

S’agissant du caractère continu, estimant que de nombreux éléments du dossier établissent le caractère continu de l’infraction, elle confirme la position de l’Autorité qui avait retenu une durée d’infraction de quatorze ans et un mois (§500).

 

Diminution significative de la sanction par la cour d’appel

 

Si la Cour d’appel est venue confirmer pour l’essentiel la position de l’Autorité concernant la matérialité des pratiques et le champ d’application du droit de la concurrence, elle s’en écarte au stade de la détermination des sanctions, et notamment à propos de la gravité des pratiques. En effet, soulevant la complexité particulière de l’articulation entre les règles de la PAC et du droit de la concurrence source d’incertitudes quant à la licéité des pratiques mises en œuvre par les entités en cause, elle juge que la gravité des pratiques en est atténuée, nonobstant le caractère anticoncurrentiel par objet de ces pratiques. Résultat : une sanction globale d’environ 1,6 millions d’euros, au lieu de la sanction avoisinant les 4 millions prononcée en 2012 par l’Autorité.

 

 

[1] Règlement CE n° 1234/2007 article 122, c)

 

 

Par Cynthia Picart et Mélanie Ravoisier-Ranson


09/07/21

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