On se souvient qu’en octobre 2013, le Juge de la Liberté et de la Détention (JLD) de Bobigny avait autorisé des opérations de visites et de saisie (OVS) dans les locaux des sociétés Fagor Brandt et Samsung, dans le cadre d’une enquête relative à des échanges d’informations susceptibles de caractériser des pratiques d’ententes horizontales et verticales dans le secteur de la distribution des produits électroménagers « blancs » et « bruns ».
A la suite des OVS réalisées chez ses concurrents, la société Whirlpool, à ce stade non encore visée par l’enquête, avait demandé à ses avocats de préparer sa défense. Le cabinet d’avocats avait, dans ce cadre, interrogé des employés de Whirlpool et avait communiqué son analyse sous la forme d’un compte-rendu d’entretiens et d’un exposé oral au cours d’une réunion qui avait eu lieu dans les locaux du cabinet.
Le 21 mai 2014, sur requête du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence qui se fondait sur les éléments issus des OVS réalisés en 2013, le JLD de Paris avait autorisé des OVS dans les locaux de la société Whirlpool.
Au cours de ces OVS, et en dépit des vives contestations des avocats, les agents de l’Autorité avaient consulté et saisi plusieurs documents qui concernaient directement les analyses et conseils du cabinet d’avocats dans la défense de Whirlpool dans cette affaire.
Les agents de l’Autorité avaient ainsi, notamment, imprimé et saisi des emails échangés entre les juristes et mandataires sociaux de l’entreprise, résumant l’analyse du cabinet d’avocats.
La société Whirlpool avait alors formé un recours contre les OVS effectuées dans ses locaux, et dénonçait, entre autres, la saisie de ces documents, qui évoquaient le contenu d’une consultation d’avocat.
Le Premier Président de la Cour d’appel de Paris rendait une ordonnance le 8 novembre 2017, qui rejetait le recours de la société Whirlpool contre ces OVS, à l’exception de la saisie de certains documents, couverts par le secret professionnel [1].
Relevant qu’il était possible de penser, de manière certaine, que la société Whirlpool « s’attendait à être visitée » et avait anticipé la préparation de sa défense, ce qui ne pouvait lui être reproché, le premier Président de la Cour d’appel de Paris affirmait que bien que les courriels n’étaient pas adressés à ou par un avocat, ils reprenaient une stratégie de défense mise en place par le conseil de l’entreprise mise en cause et portait atteinte au legal privilege, de sorte que la saisie des pièces couvertes par ce privilège devait être annulée et interdisait à l’Autorité d’en garder copie et d’en faire état de quelque manière que ce soit [1].
L’Autorité formait alors un pourvoi à l’encontre de l’ordonnance du 8 novembre 2017, faisant valoir que seules sont couvertes par le secret professionnel les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci et les correspondances échangées entre le client et son avocat, de sorte que les documents, bien que se référant à des propos tenus ou écrits par un avocat, ne relèveraient pas de stricts échanges entre un avocat et son client et ne sauraient donc bénéficier du legal privilege.
Pour rappel, le secret professionnel de l’avocat protège « En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention » officielle « , les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel » [2] .
La Cour de justice considère par ailleurs que « la confidentialité des communications entre avocats et clients [doit] faire l’objet d’une protection au niveau de la Communauté européenne », subordonnant toutefois le bénéfice du legal privilege à deux conditions cumulatives, à savoir d’une part, que l’échange avec l’avocat soit lié à l’exercice du « droit de la défense du client » et, d’autre part, que l’échange émane « d’avocats indépendants », c’est-à-dire « non liés au client par un rapport d’emploi » [3].
On se souvient que la Cour de cassation était venue rappeler ce strict encadrement du principe de la protection des correspondances entre l’avocat et son client [4].
Dans la mesure où « […] le pouvoir reconnu aux agents de l’Autorité de la concurrence par l’article L. 450-4 du Code de commerce, de saisir des documents et supports informatiques, trouve sa limite dans le principe de la libre défense qui commande de respecter la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense » [5] [6], la question se posait en l’espèce de savoir, si les documents dont la saisie avait été annulée étaient couverts par le secret professionnel.
Après s’être assurée que le premier Président avait bien constaté que les documents litigieux, bien que n’émanant pas ou ne soient pas adressés à un avocat, reprenaient la stratégie de défense mise en place par celui-ci et qu’elles visaient à préparer la défense de l’entreprise dans la perspective d’une future OVS, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère dans son arrêt du 26 janvier 2022 (Cass.crim. 26/01/22 n°17-87.359) que le Premier Président avait justifié sa décision, en constatant, par une interprétation souveraine, que les données confidentielles couvertes par le secret des correspondances avocat-client, contenues dans les documents saisis, en constituant l’objet essentiel.
Les juristes d’une entreprise peuvent donc désormais faire état dans leur propre correspondance interne, de la stratégie de défense élaborée par les avocats de l’entreprise, voire les commenter et les enrichir, tout en conservant la protection accordée aux correspondances avocat-client.
Cette extension du champ de la protection accordée à la correspondance avocat-client est d’autant plus bienvenue qu’à compter du 1er mars 2022, une personne faisant l’objet d’une OVS peut s’opposer à la saisie de documents couverts par le secret professionnel [7].
Par Mélanie Ravoisier-Ranson
08/02/22