Par un arrêt en date du 25 novembre 2020, la Chambre criminelle de la Cour de cassation était venue rappeler que le principe de protection des correspondances entre l’avocat et son client est strictement encadré et ne trouve pas à s’appliquer automatiquement à tout type de correspondances.
Pour mémoire, les locaux de la société Au vieux campeur Paris de Rorthays et Cie, avaient fait l’objet d’opérations de visite et saisies en avril 2018, au cours desquelles des courriers électroniques échangés entre la société et son avocat avaient été saisis.
La société avait alors déposé un recours en annulation le 2 mai 2018 et le premier président de la Cour d’appel de Chambéry avait ordonné le retrait de la saisie des courriers électroniques listés dans le tableau récapitulatif des documents faisant l’objet d’une demande de protection.
La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a alors formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance en date du 22 mars 2019.
Ainsi, la Cour de cassation a précisé les critères nécessaires à l’application de la protection de la confidentialité des correspondances entre le client et son avocat, dans le cadre d’opérations de visite et saisies :
Si, selon les principes rappelés par l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, les correspondances échangées entre le client et son avocat sont, en toutes matières, couvertes par le secret professionnel, il demeure qu’elles peuvent notamment être saisies dans le cadre des opérations de visite et saisie (OVS) prévues par L. 450-4 du code de commerce dès lors qu’elles ne concernent pas l’exercice des droits de la défense.
» (…) le premier président, statuant sur la régularité de ces opérations ne peut ordonner la restitution des correspondances entre l’occupant des lieux visités et un avocat en raison de leur confidentialité que si celles-ci sont en lien avec l’exercice des droits de la défense » (point 7)
Or, en l’espèce, la société avait produit un tableau récapitulatif des documents faisant l’objet d’une demande de protection précisant l’ordinateur concerné, la référence des dossiers Outlook où étaient rangées les correspondances, l’identité de l’avocat et le destinataire du message ainsi que la date de ce message.
Cependant, selon la Cour de cassation, la société n’avait pas produit d’élément de nature à établir que ces courriers étaient en lien avec l’exercice des droits de la défense, et ne pouvait donc pas se prévaloir de la protection des correspondances entre avocats et clients.
Par conséquent, la Cour de cassation, avait cassé et annulé l’ordonnance.
Une incertitude demeurait quant à l’exercice des droits de la défense : S’agissait-il de l’ensemble des correspondances échangées entre l’avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense ou bien uniquement de l’exercice lié au seul dossier de concurrence à l’origine des OVS ?
La Cour de cassation est venue répondre à ces interrogations dans un arrêt du 20 janvier 2021, dans une affaire relative à la régularité du déroulement d’OVS en vue de rechercher la preuve d’abus de position dominante dans le secteur de l’énergie.
Après avoir confirmé le principe selon lequel, les correspondances échangées entre un avocat et son client ne peuvent pas être saisies dans le cadre des OVS, à condition que ces correspondances concernent l’exercice des droits de la défense.
La Cour de cassation est venue préciser que l’insaisissabilité des correspondances échangées entre un avocat et son client ne se limite pas aux seuls échanges liés au présent dossier de concurrence, mais s’étend à l’ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense :
» C’est à tort que le premier président retient que seuls seraient insaisissables les documents qui relèveraient de l’exercice des droits de la défense dans le présent dossier de concurrence, alors que cette protection s’étend à l’ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense » (point 31).
Cet arrêt est également intéressant en ce que la Cour de cassation apporte des explications sur le déroulement des OVS :
Rappel des faits et de la procédure :
Pour mémoire, le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence avait sollicité du juge des libertés et de la détention du TGI de Nanterre l’autorisation de procéder à des OVS dans les locaux de trois entreprises du secteur de l’énergie (EDF, Dalkia France, EDF Optimal Solutions devenue Dalkia France Holding).
Par ordonnance du 17 novembre 2016, le juge des libertés et de la détention avait autorisé les opérations sollicitées, qui se sont déroulées du 22 au 23 novembre 2016.
Le 1er décembre 2016 les trois sociétés avaient formé un recours concernant le déroulement des OVS devant le premier président de la Cour d’appel de Versailles.
Les opérations d’ouverture et d’expurgation des scellés fermés provisoires s’étaient déroulées du 13 au 16 décembre 2016.
Le premier président de la Cour d’appel de Versailles, a rejeté par ordonnance du 10 janvier 2019, les demandes d’annulation totales ou partielles des OVS effectuées et de restitution des pièces saisies en retenant notamment que seuls seraient insaisissables les documents qui relèveraient de l’exercice des droits de la défense dans le présent dossier de concurrence.
Si la chambre criminelle de la Cour de cassation indique que c’est à tort que le premier président retient que seuls seraient insaisissables les documents qui relèveraient de l’exercice des droits de la défense dans le présent dossier de concurrence, alors que cette protection s’étend à l’ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense (point 31)
La censure n’est pas retenue en l’espèce, la Cour de cassation rappelle qu' »il appartenait à la société objet des visites et saisies, qui était en mesure d’établir à l’occasion du renvoi à l’audience prévue à cette fin, dans le cadre de son recours devant le premier président, si les documents relevaient de la confidentialité des échanges avec ses avocats, de désigner précisément les documents qu’elle estimait protégés à ce titre, pour qu’ils ne soient pas saisis » (point 32). Par ailleurs, la Cour de cassation estime que « le premier président, qui a constaté que seule l’Autorité de la concurrence avait présenté des observations sur le caractère saisissable des documents, a procédé à l’examen in concreto de ceux qu’il a estimé devoir être analysés au vu de ces observations » (point 33).
Enfin, la chambre criminelle de la Cour de cassation a validé la condamnation des trois entreprises visitées à payer à l’Autorité de la concurrence la somme de 100 000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles, « dès lors que, d’une part, il ne se déduit pas des motifs de l’ordonnance attaquée que les sommes allouées correspondaient aux frais de scellés provisoires, ou d’expurgation de ces scellés, ni qu’ils ne correspondaient pas à des frais engagés à l’occasion de l’instance devant le premier président, d’autre part l’application de l’article 700 du code de procédure civile n’exige aucune motivation particulière du juge« (point 38).
La Cour de cassation a rejeté l’ensemble des pourvois.
La vigilance s’impose donc d’autant que toute entreprise est susceptible d’être confrontée à une opération de visite et saisie.
Or une telle opération présente un risque majeur pour l’entreprise dans la mesure où l’ensemble des éléments collectés à cette occasion pourront servir de preuve pour l’autorité de contrôle et fonder les sanctions à l’encontre de l’entreprise.
La meilleure stratégie dans ce cas reste pour l’entreprise d’être assistée par un avocat pendant le déroulement des opérations afin que ce dernier s’assure de la régularité de l’OVS et conseille utilement l’entreprise sur le comportement à adopter dans ce contexte pour préserver ses droits et limiter ses risques.
Par Cynthia Picart et Najwa El Kandoussi
10/03/21