Pratiques anticoncurrentielles : Google et Meta (ex-Facebook) dans le viseur de la Commission européenne à la suite d’une plainte d’éditeurs de presse européens

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Le Conseil européen des éditeurs (EPC), organisation professionnelle des éditeurs, qui compte plus d’une vingtaine de médias, dont parmi ses membres Axel Springer, Reuters, The Guardian, News UK, Condé Nast, Financial Times, El Pais, ou la Repubblica, a porté plainte contre Google le 11 février 2022 devant la Commission européenne, pour pratiques anticoncurrentielles dans les technologies publicitaires en ligne.

Google est ainsi accusée par les éditeurs de violer le droit de la concurrence au niveau communautaire dans un contexte de monopole sur le marché de l’affichage publicitaire en ligne, par le recours à des pratiques commerciales abusives.

Aucun média français ne figure dans cette association, mais elle rassemble quelques-uns des principaux éditeurs de presse en Europe.

 

Des pratiques commerciales susceptibles de porter atteinte à la concurrence sur le marché de l’affichage publicitaire en ligne

 

Le Conseil européen des éditeurs estime que Google exerce une mainmise sur les éditeurs de presse par le biais de ses technologies publicitaires susceptible de faire obstacle au libre jeu de la concurrence. De nombreux éditeurs s’appuient en effet sur l’affichage publicitaire en ligne pour financer des contenus en ligne pour les consommateurs. Google est en position dominante sur ce marché.

Google fournit des services de technologie publicitaire qui jouent le rôle d’intermédiation entre les annonceurs et les éditeurs pour la vente aux enchères en temps réel d’espaces d’affichage publicitaire en ligne sur des sites web ou des applications mobiles, à travers son programme « Open Bidding ».

Ces services sont rémunérés par des commissions très élevées, au moins 30%, du prix des transactions entre les éditeurs et les annonceurs. Ces services sont indispensables aux annonceurs pour toucher une audience en lien avec leur stratégie marketing et bénéficier de la notoriété des éditeurs de presse pour leurs campagnes publicitaires. Ainsi Google à travers ses conditions commerciales est susceptible d’abuser de sa position dominante notamment au détriment des éditeurs de presse.

L’EPC prétend que Google aurait manipulé son système d’enchères pour la publicité en ligne pour gonfler artificiellement le prix des annonces de sorte que l’annonceur paie le prix fort, outre qu’il aurait favorisé les acheteurs de publicités en ligne utilisant ses produits et services. Dès lors Google porterait donc à suivre l’EPC directement atteinte au droit de la concurrence par de telles pratiques monopolistiques abusives.

L’EPC reproche en outre à Google de s’être inscrit dans une stratégie d’éviction de la concurrence dans le domaine de la technologie publicitaire notamment en faisant l’acquisition de DoubleClick en 2008. Désormais Google maîtrise toute la chaîne de valeur de l’Ad tech (régie, commercialisation des espaces publicitaires, services pour traquer l’impact des publicités en ligne, suivi de campagne, génération de trafic).

Google par ses pratiques anticoncurrentielles ferait obstacle à la concurrence et s’inscrirait en violation du droit de la concurrence.

 

Manipulation par Google de son système d’enchères programmatiques dénoncée aux Etats-Unis

 

Cette situation permet à Google de privilégier ses propres intérêts au détriment de ses clients comme l’ont récemment révélé en janvier dernier la plainte actuellement instruite aux Etats-Unis à l’initiative d’une coalition de plusieurs Etats américains dont l’Etat du Texas pour pratiques anticoncurrentielles au préjudice des éditeurs et des annonceurs.

Google est ainsi accusée de truquer le marché publicitaire en ligne via son système d’enchères programmatiques. Google aurait commis des pratiques anticoncurrentielles pour conserver son monopole technologique, notamment en passant un accord avec Meta (ex-Facebook) pour se partager des parts de marché, en manipulant son système d’enchères programmatiques, son header bidding (bannière publicitaire) et le dispositif mobile AMP…

L’EPC demande à à la Commission européenne à travers sa plainte de rechercher la responsabilité de Google au titre de son comportement qu’il estime anticoncurrentiel et qu’elle prenne « des mesures correctives » pour rétablir les conditions « d’une concurrence effective dans la chaîne de valeur des technologies publicitaires ».

Cette plainte des éditeurs couplée aux révélations du dossier instruit aux Etats-Unis contre Google a conduit la Commission européenne à ouvrir une enquête formelle le 11 mars dernier sur un possible comportement anticoncurrentiel de Google et de Meta (ex-Facebook) dans le secteur de l’affichage publicitaire en ligne notamment au titre d’ententes.

 

Ouverture d’une enquête formelle de la Commission européenne pour de possibles pratiques anticoncurrentielles (entente et abus de position dominante)

 

L’enquête de la Commission, d’après son communiqué, porte sur un accord de septembre 2018 conclu entre Google et Meta, dénommé Jedi Blue, qui concerne la participation de l’Audience Network de Meta au programme Open Bidding de Google.

Ainsi, cet accord aurait eu pour objectif (voire y serait parvenu – seule l’enquête de la Commission pourra le dire) d’exclure les services de technologie publicitaire concurrents du programme Open Bidding de Google et par conséquent, de restreindre ou carrément fausser la concurrence sur les marchés de l’affichage publicitaire en ligne au détriment des éditeurs et in fine des consommateurs.

Pour mémoire, en droit de la concurrence, l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) interdit, :

« tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à:

a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction,

b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

c) répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement,

d) appliquer, à l’égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

e) subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.

2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit. »

 

Sont donc prohibées au visa de cet article les ententes.

De la même manière, les abus de position dominante sont également prohibés par le droit de la concurrence et ce au visa de l’article 102 du TFUE.

Il appartiendra donc à la Commission de se prononcer sur ses sujets à l’issue des résultats de son enquête et d’apprécier si les pratiques de Google font obstacle au libre jeu de la concurrence et susceptibles de caractériser des pratiques anticoncurrentielles étant précisé que si tel est le cas la Commission est compétente pour sanctionner Google et lui infliger notamment des sanctions pécuniaires.

D’un point de vue procédural, aucun délai légal n’est prévu pour la clôture d’une enquête en matière de pratiques anticoncurrentielles. Toutefois, l’on imagine mal que la Commission ne fasse pas de ce dossier une priorité compte tenu du passif cumulé de Google sur ces dernières années. Toutes les informations relatives à cette enquête seront à cet égard disponibles sous le numéro AT.40774 dans le registre public des affaires de concurrence du site de la Commission européenne.

Notons également que l’autorité britannique de la concurrence (Competition and Market Authority – CMA ) a également ouvert sa propre enquête sur l’accord Jedi Blue passé entre Google et Meta.

A suivre donc…

 

 

Par Cynthia Picart


20/04/22

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