Dans sa décision n°2021-892 QPC du 26 mars 2021 société Akka technologies et autres, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution, le second alinéa du paragraphe V de l’article L.464-2 du Code de commerce, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n°2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, en ce qu’il méconnaissait le principe de non-cumul des sanctions.
Pour mémoire, l’article L.464-2 du Code de commerce permet à l’Autorité de la concurrence de condamner une entreprise ayant fait obstruction à une mesure d’investigation ou d’instruction ordonnée par ses services (par exemple, en fournissant des renseignements incomplets ou inexacts, ou en communiquant des pièces incomplètes ou dénaturées) à une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à 1% du montant de son chiffre d’affaires mondial.
C’est sur ce fondement que l’Autorité de la concurrence avait sanctionné le groupe Akka Technologies à hauteur de 900 000 euros, dans sa décision n° 19-D-09, pour avoir fait obstacle au déroulement d’opérations de visite et saisie, en commettant des bris de scellés et une altération du fonctionnement d’une messagerie.
Les sociétés requérantes, rejointes par la société Brenntag SA, invoquaient notamment devant le Conseil constitutionnel, « comme contraire au principe de nécessité des délits et des peines, le cumul possible entre cette amende administrative et l’infraction d’opposition à l’exercice des missions des agents de l’Autorité de la concurrence, prévue par l’article L. 450-8 du code de commerce, ou celle de bris de scellés apposés par l’autorité publique, prévue par l’article 434-22 du code pénal » (paragraphe 5).
Le Conseil constitutionnel a rappelé que « le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts » (paragraphe 19).
Conformément à une jurisprudence bien établie, le cumul des sanctions n’est possible que si l’une des trois conditions suivantes est remplie :
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a examiné si l’une de ces trois conditions étaient réunies et a énoncé que :
C’est pourquoi, le Conseil constitutionnel a décidé que « les dispositions contestées méconnaissent le principe de nécessité et de proportionnalité des peines et qu’elles doivent donc être déclarées contraires à la Constitution » (paragraphe 24).
Si le Conseil constitutionnel a bien censuré les dispositions contestées, les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité se trouvent limités pour deux raisons :
Premièrement, le Conseil constitutionnel a énoncé que les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, n’étaient plus en vigueur (paragraphe 26).
En effet, lorsque l’Autorité de la concurrence prononce la sanction, le 22 mai 2019, l’article L. 464-2 du Code de commerce avait été modifié, depuis l’ordonnance du 9 mars 2017, par la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (loi DDADUE).
Toutefois, il semble important de souligner que ces deux modifications n’ont nullement porté sur l’alinéa 2 du paragraphe V qui a été censuré par le Conseil constitutionnel.
Deuxièmement, si en principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent au Conseil constitutionnel le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produit avant l’intervention de cette déclaration.
Or, dans sa décision, le Conseil constitutionnel a précisé au paragraphe 27 que : « afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de la présente décision, il y a lieu de juger que, dans les procédures en cours fondées sur les dispositions contestées, la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée lorsque l’entreprise poursuivie a préalablement fait l’objet de poursuites sur le fondement de l’article L. 450-8 du code de commerce ».
Par conséquent, la déclaration d’inconstitutionnalité ne pourra être invoquée que si l’entreprise poursuivie a préalablement fait l’objet de poursuites sur le fondement de l’article L. 450-8 du code de commerce ; ce qui limite bien les effets de la décision du Conseil constitutionnel.
Une décision de l’Autorité de la concurrence, en date du 3 mai 2021, relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par le groupe Fleury Michon, est à relever à ce sujet.
L’Autorité de la concurrence a prononcé une sanction de 100 000 euros à l’encontre du groupe Fleury Michon sur le fondement des dispositions du V de l’article L. 464-2 du Code de commerce, pour avoir fait obstacle au déroulement de l’instruction réalisée par l’Autorité de la concurrence dans l’affaire du cartel du secteur du jambon et de la charcuterie.
Dans cette décision, l’Autorité de la concurrence a fait application du paragraphe 27 de la décision susmentionnée du Conseil constitutionnel qui précise les conditions dans lesquelles la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée.
En l’espèce le groupe Fleury Michon n’avait pas fait préalablement l’objet de poursuites sur le fondement de l’article L. 450-8 du Code de commerce. Le groupe Fleury Michon ne pouvait donc pas invoquer la déclaration d’inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel.
Dès lors, l’Autorité de la concurrence a décidé que l’entreprise en cause pouvait être sanctionnée sur le fondement de l’article L. 464-2 du Code de commerce.
Attention donc … pour mémoire, le fait de fournir aux services d’instruction des renseignements incomplets ou inexacts, ou de communiquer des pièces incomplètes ou dénaturées est susceptible de constituer une obstruction, au terme du deuxième alinéa du V de l’article L. 464-2 du Code de commerce, les entreprises doivent donc être particulièrement vigilantes lors des investigations ou instructions d l’Autorité de la concurrence.
Par Cynthia Picart et Najwa El Kandoussi
20/05/21