Pratiques restrictives de concurrence : EURELEC TRADING déboutée de son recours

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Par une décision du 23 juin 2022, le Tribunal administratif de Paris rejette la requête de la société de droit belge Eurelec Trading visant à solliciter l’annulation de la décision de sanction prononcée à son encontre par la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi pour pratique restrictive de concurrence à raison de manquements aux règles françaises tenant à la conclusion entre distributeur et fournisseurs d’une convention unique (article L.441-3 du Code de commerce) (TA Paris, 2è section – 1è chambre, 23 juin 2022, n° 2108979/2-1).

Le contexte de l’AFFAIRE EURELEC TRADING

A la suite d’une enquête menée par la DIRECCTE [1] d’Ile-de-France, la société Eurelec Trading, centrale d’achat belge commune des enseignes E. Leclerc et Rewe, avait fait l’objet d’une procédure de sanction pour 21 manquements à l’obligation de conclure avec ses fournisseurs français une convention unique avant la date annuelle butoir du 1er mars, en violation de l’article L.441-3 du Code de commerce [2].

Le directeur général de la DIRRECTE lui avait, par décision du 28 août 2020, infligé une sanction de 6 340 000 euros.

Pour rappel, les manquements à cette obligation sont sanctionnés par une amende administrative d’un montant maximal de 375 000 euros [3], étant précisé que, conformément à l’article L.470-2, VII du Code de commerce [4], « Lorsque, à l’occasion d’une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l’encontre d’un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s’exécutent cumulativement ».

La société Eurelec Trading avait alors saisi le Tribunal administratif de Paris d’un recours en annulation de la décision de sanction, et subsidiairement, en réduction du montant de celle-ci dans la limite d’un montant maximal de 375 000 euros.

A l’occasion de cette contestation, elle soulevait une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Tribunal administratif de Paris, qui l’avait transmise au Conseil d’Etat, lequel, jugeant la question suffisamment sérieuse, renvoyait à son tour la QPC au Conseil Constitutionnel (voir à cet égard notre article).

La QPC soulevée par EURELEC TRADING

La société Eurelec Trading, rejointe par la société ITM Alimentaire intervenante à la QPC, reprochait à l’article L.470-2, VII du Code de commerce [4] de méconnaître le principe de proportionnalité des peines, dès lors qu’il ne prévoit aucun plafond au cumul des sanctions administratives prononcées pour des manquements en concours.

Elle soutenait également que ces dispositions méconnaissaient le principe de légalité des délits et des peines, faute de définition de la notion de « manquements en concours ». Eurelec Trading dénonçait enfin, comme contraire au principe ne bis in idem, le cumul de sanctions administratives que permet cette disposition.

Dans sa décision QPC n° 2021-984 du 25 mars 2022, le Conseil constitutionnel a précisé que l’application de l’article L.470-2, VII à des manquements en concours signifie que « lorsqu’un manquement à ces règles a été commis par une personne avant que celle-ci ait été définitivement sanctionnée pour un autre manquement, les sanctions administratives prononcées à son encontre s’exécutent cumulativement » [5], outre que, conformément à sa jurisprudence, « aucune exigence constitutionnelle n’impose que des sanctions administratives prononcées pour des manquements distincts soient soumises à une règle de non-cumul » [6].

Soulignant enfin que ces dispositions font l’objet d’une appréciation de la proportionnalité de la répression susceptible d’en résulter par l’autorité chargée de les prononcer et, en cas de contestation, par le juge administratif, le Conseil écartait les griefs tirés de la méconnaissance des principes de proportionnalité des peines, de légalité et de nécessité des délits et des peines et déclarait conforme à la Constitution l’article L.470-2, VII du Code de commerce [7].

La solution du Tribunal 

Prenant acte de la décision du Conseil, il revenait en conséquence au Tribunal administratif de Paris de statuer sur le recours formé par la société Eurelec Trading à l’encontre de la décision de sanction du directeur régional de la DIRECCTE du 28 août 2020.

La requérante contestait d’abord, sans succès, la régularité de la procédure de sanction : le Tribunal administratif écarte l’ensemble des griefs qui lui étaient soumis, à savoir les griefs d’incompétence [8], ceux tirés de l’art 6 de la CESDH, de la méconnaissance des droits de la défense et du principe du contradictoire [9], et confirme la suffisante motivation de la décision attaquée [11].

Sur le bien-fondé de la sanction, le Tribunal relève d’abord que les dispositions de l’article L.441-3 du Code de commerce [2] étaient opposables au cas d’espèce, soulignant que l’obligation de conclure une convention unique n’a pas pour objet principal de faciliter les contrôles administratifs mais vise à assurer une plus grande transparence des relations commerciales fournisseurs/distributeurs. Dans la mesure où les produits visés par les conventions litigieuses, toutes conclues avec des fournisseurs français, sont destinés au marché français, c’est à bon droit que le directeur régional de la DIRECCTE avait opposé à la société Eurelec trading, société de droit belge, l’article L. 441-3 du Code de commerce.

Le Tribunal confirme également la matérialité des manquements constatés, balayant l’argument de la requérante qui tentait de se prévaloir des seuls « échanges de consentement » et des « accords de principe » en lieu et place de la signature d’une convention unique, seule cette signature étant, d’après le Tribunal, de nature à rapporter la preuve de la conclusion d’un accord.

Le Tribunal écarte encore les moyens tirés de la méconnaissance des principes de la personnalité des peines et de la proportionnalité des sanctions infligées, constatant que la requérante avait eu la volonté de se soustraire à la législation française en soumettant ses contrats au droit belge, et n’ayant, en tout état de cause, pas donné une suite favorable aux demandes des fournisseurs français qui avaient pourtant manifesté leur volonté de conclure une convention conformément au cadre légal.

Le Tribunal écarte enfin un à un les griefs tirés de la méconnaissance, par l’article L.441-3, des libertés de circulation consacrées par le droit de l’Union européenne [11] et la Directive dite « Services » [12], et ne juge pas nécessaire de saisir la Cour de Justice de l’UE d’une question préjudicielle.

Par Mélanie Ravoisier-Ranson et Cynthia Picart

Notes :

  1. Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi
  2. Ancien article L.441-7, I du Code de commerce dans sa version en vigueur à la date de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017
  3. Ancien article L.441-7, II du Code de commerce dans sa version en vigueur à la date de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017, devenu L.441-6 depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019
  4. Dans sa version en vigueur à la date de l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017
  5. Décision QPC n° 2021-984 du 25 mars 2022, § 7
  6. Décision QPC n° 2021-984 du 25 mars 2022, § 8
  7. Décision QPC n° 2021-984 du 25 mars 2022, §§ 10 et 11
  8. TA Paris, 2è section – 1è chambre, 23 juin 2022, n° 2108979/2-1, § 3
  9. TA Paris, 2è section – 1è chambre, 23 juin 2022, n° 2108979/2-1, §§ 6, 7 et 9
  10. TA Paris, 2è section – 1è chambre, 23 juin 2022, n° 2108979/2-1, § 5
  11. Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), art. 34 (liberté de circulation des marchandises) ; art. 49 (liberté d’établissement) ; art. 56 (libre prestation de service) ;
  12. Directive 2006/123 du 12 décembre 2006

10/07/22

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