Suite aux annonces dans la presse économique de la société Illumina, société américaine fondée en 1998 spécialisée en séquençage et étude des variations génétiques, de son projet de rachat de la start-up Grail qui a mis au point des tests sanguins capables de détecter une cinquantaine de cancers en phase très précoce, à hauteur de 8 milliards de dollars, l’Autorité de la concurrence a fait usage, par décision du 9 mars 2021, du mécanisme de renvoi à la Commission européenne, fondé sur l’article 22 du règlement n°139/2004 sur les concentrations, permettant le contrôle d’une opération même en cas d non atteinte des seuils de notification aux autorités de contrôle dès lors que l’opération est susceptible de porter significativement atteinte à la concurrence.
Les sociétés Illumina et Grail ont contesté cette décision par un référé suspension au visa de l’article L.521-1 du Code de justice administrative, devant le Conseil d’Etat afin d’obtenir la suspension de la décision du 9 mars 2021 de l’Autorité de la concurrence.
Le 1er avril 2021, le Conseil d’Etat rejetait les requêtes des sociétés Illumina et Grail (décision n°450878), considérant qu’elles avaient été portées devant une juridiction incompétente, la demande de renvoi de l’Autorité n’étant pas détachable de la procédure d’examen de cette opération, menée par la Commission européenne sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne.
La Commission européenne a accepté la requête soumise par la France, à laquelle se sont par la suite joints la Belgique, la Grèce, l’Islande, les Pays-Bas et la Norvège, lui demandant d’examiner le projet d’acquisition de la société Grail par le groupe Illumina sur la base de l’article 22 du règlement n°139-2004 du Conseil du 20 janvier 2004 (voir à ce sujet, le communiqué de presse de la Commission européenne).
C’est la première fois, depuis l’annonce du 11 septembre 2020 par Margrethe Vestager de la nouvelle approche en matière de contrôle des opérations « sous les seuils » dans le cadre de l’article 22 du règlement n° 139/2004, que la Commission européenne va examiner une opération de concentration qui n’était pas soumise à notification obligatoire au regard des seuils nationaux de chiffres d’affaires.
Dans ce contexte, il semble intéressant de revenir sur la publication en date du 26 mars 2021, du document de travail émanant des services de la Commission européenne résumant les conclusions de l’évaluation des aspects procéduraux et juridictionnels du contrôle des concentrations de l’Union européenne.
Compte tenu des résultats de l’évaluation, la Commission européenne a décidé d’adopter une communication présentant les orientations de la Commission européenne sur l’application du mécanisme de renvoi prévu à l’article 22 du règlement des concentrations qui complète les orientations fournies dans la Communication de la Commission sur le renvoi des affaires en matière de concentration.
La Commission européenne a également lancé une analyse d’impact des actions envisageables afin de cibler et simplifier davantage ses procédures de contrôle des concentrations. Le but poursuivi est le suivant :
S’agissant des orientations de la Commission européenne, elles visent notamment à clarifier l’approche de la Commission sur la question relative aux renvois dans les affaires qui ne relèvent pas de la compétence initiale de l’État membre.
Plus précisément, les orientations décrivent les catégories d’affaires susceptibles de se prêter à un renvoi dans des situations dans lesquelles l’opération ne doit pas être notifiée en vertu de la législation du ou des États membres requérants. Elles établissent également les critères que la Commission européenne pourrait prendre en considération dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation pour accepter ces demandes de renvoi.
En vertu de l’article 22 du règlement n°139-2004, une autorité nationale de concurrence a la faculté de demander le renvoi à la Commission européenne de l’examen d’une opération de concentration, « qui ne serait pas de dimension européenne, mais qui affecterait le commerce entre États membres et menacerait d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande ».
Pour mémoire, la pratique de la Commission était auparavant de décourager les renvois lorsque l’opération de concentration ne dépassait pas les seuils nationaux de contrôle des concentrations de l’Etat membre requérant. (Point 8 de la Communication).
Néanmoins, au cours de ces dernières années, il a été constaté que l’évolution du marché a engendré une augmentation progressive des opérations de concentration impliquant des entreprises ayant un chiffre d’affaires faible mais un potentiel concurrentiel élevé sur le marché intérieur. Les secteurs concernés sont variés : économie numérique, pharmaceutique, et d’autres secteurs où « l’innovation est un paramètre important de concurrence ». (Point 9 de la Communication).
Les autorités nationales de concurrence peuvent désormais demander à la Commission d’examiner des opérations qui ne franchissent pas les seuils nationaux mais qui :
La Commission précise que lors de l’examen de ces deux critères elle tiendra compte de la nature prospective de l’évaluation du contrôle de concentrations. (Point 16 de la Communication).
La Commission présente à titre d’exemple différentes catégories d’affaires, qui pourraient faire l’objet d’un renvoi avec la nouvelle lecture de l’article 22 du règlement n°139-2004. (Point 19 de la Communication). Le renvoi pourrait ainsi être accepté lorsque l’entreprise :
Par ailleurs, dans son évaluation, la Commission pourra également prendre en compte la valeur de la contrepartie reçue par le vendeur lorsque celle-ci est particulièrement élevée par rapport au chiffre d’affaires actuel de la cible.
S’agissant des aspects procéduraux, la Commission indique notamment qu’elle coopéra étroitement avec les autorités nationales pour identifier les opérations qui pourraient faire l’objet d’un renvoi sur le fondement de l’article 22 du règlement n°139-2004. (Point 23 de la Communication).
La Commission prévoit que les parties puissent volontairement fournir des informations sur l’opération projetée et la Commission évaluera si un renvoi en vertu de l’article 22 du règlement n°139-2004 pourrait être envisagé. Il s’agirait ainsi d’une sorte de pré-notification. (Point 24 de la Communication).
Les tiers pourront également informer la Commission d’une opération de concentration qui à leur avis, pourrait être éligible au renvoi prévu par l’article 22 du règlement n°139-2004. Toutefois, cela ne créé pas d’obligation de renvoi du chef des États membres. (Point 25 de la Communication).
Par ailleurs, lorsque la Commission prend connaissance d’une concentration qu’elle considère comme répondant aux critères pertinents pour une saisine, elle peut informer le(s) États membre(s) potentiellement concerné(s) et le(s) inviter à présenter une demande de renvoi, ces derniers ne sont pas tenus de le faire. (Point 26 de la Communication).
S’agissant des délais, la Commission indique que lorsqu’une demande de renvoi a été effectuée, la Commission en informe les parties « dès que possible » (Point 27 de la Communication), et les autorités nationales compétentes « sans délais » (et les autres États membres peuvent se joindre à la demande initiale dans un délai de 15 jours ouvrables après avoir été informés par la Commission de la demande initiale (Point 29 de la Communication).
La Commission peut décider d’examiner l’opération de concentration au plus tard 10 jours ouvrables après l’expiration du délai de 15 jours ouvrables pour que les États membres puissent se joindre à la demande de renvoi. Si la Commission ne prend pas de décision dans le délai imparti, elle sera réputée avoir pris une décision visant à examiner l’opération de concentration (Point 30 de la Communication).
Enfin, il est important de relever que la Commission pourra procéder à un examen d’un opération postérieurement à sa réalisation et ce jusque 6 mois après. par conséquent, il conviendra aux parties prenantes à l’opération et aux praticiens d’être particulièrement vigilants lors d’opération d’acquisition et d’anticiper le risque de contrôle ex-post de la Commission pouvant conduire à une remise en cause de l’opération si celle-ci venait à être interdite.
Par Cynthia Picart et Najwa El Kandoussi
07/05/21