Recevabilité des moyens et changement de normes : une évolution spectaculaire de la doctrine de la Cour de cassation

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CONTEXTE

Par un arrêt d’assemblée plénière du 2 avril 2021, la Cour de cassation fit évoluer de façon significative sa jurisprudence, suivie depuis maintenant 50 ans, sur l’irrecevabilité des moyens (Cass. AP 2 avril 2021 n°19-18.814).

 

En effet, un moyen de cassation reprochant à la juridiction de renvoi d’avoir statué conformément à l’arrêt de cassation l’ayant saisi est désormais recevable lorsqu’un changement de norme est intervenu postérieurement à cet arrêt, et aussi longtemps qu’un recours est ouvert contre la décision sur renvoi. Elle rappelle ainsi que les exigences de sécurité juridique et de prévisibilité du droit doivent nécessairement se concilier avec les évolutions jurisprudentielles.

 

LES FAITS

En l’espèce, un salarié, engagé par la société Air Liquide puis par la société Air Liquide France (ALFI), s’estimant victime d’une discrimination syndicale, a saisi le Conseil des Prud’hommes afin d’obtenir un nouveau positionnement professionnel, des rappels de salaires ainsi que des dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral. Le salarié faisait valoir qu’il avait travaillé sur différents sites où il aurait été exposé à l’amiante.

 

En 2015, la Cour d’appel de Paris a accueilli cette demande et condamné la société ALFI. Le 28 septembre 2016, la Cour de cassation cassa la décision de ce chef, la Cour d’appel n’ayant pas recherché si les établissements dans lesquels le salarié avait été affecté figuraient sur la liste des établissements éligibles au dispositif de l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (article 41 de la loi du 23 décembre 1998). Elle renvoya l’affaire devant cette même Cour autrement composée qui rejeta la demande d’indemnisation, les conditions n’étant selon elle pas réunies.

 

Se prévalant d’un arrêt rendu postérieurement par la Cour de cassation, le salarié forma un pourvoi : cette dernière a en effet, en avril 2019, reconnu à tout salarié justifiant d’une exposition à l’amiante, la possibilité d’agir contre son employeur, quand bien même il n’aurait pas travaillé dans un des établissements figurant sur la liste mentionnée à l’article 41 de la loi suscitée.

 

REPONSE DE LA COUR DE CASSATION

Selon la Cour, “la prise en considération d’un changement de norme, tel un revirement de jurisprudence, tant qu’une décision irrévocable n’a pas mis un terme au litige, relève de l’office du juge auquel il incombe alors de réexaminer la situation à l’occasion de l’exercice d’une voie de recours”.

 

Ainsi, la Cour revient sur la règle prétorienne selon laquelle un moyen contestant une décision par laquelle une juridiction de renvoi s’est conformée à un arrêt de cassation est irrecevable. Par son arrêt du 2 avril 2021, la Cour opère ainsi un revirement de la jurisprudence bien établie depuis le 30 avril 1971,  selon laquelle était jusqu’alors déclaré irrecevable le moyen formé au soutien d’un nouveau pourvoi contre une décision rendue par une juridiction du fond de renvoi conformément à l’arrêt de cassation l’ayant saisie, quand bien même un revirement de jurisprudence serait intervenu, dans une autre instance, postérieurement à cet arrêt.

 

Très discutée par la doctrine, cette solution présentait les inconvénients de ne pas faire bénéficier les parties d’une évolution de jurisprudence intervenue entre-temps et de priver une partie d’un recours dont les délais d’exercice lui étaient encore ouverts.

 

Par sa décision, l’Assemblée plénière met fin à cette jurisprudence en reconsidérant cette règle prétorienne de procédure.

 

Cet arrêt consacre non seulement une véritable égalité de traitement devant les juridictions mais également une plus grande effectivité de l’accès au juge.

 

 

Par Cynthia Picart et Laurane Farrugia


09/04/21

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