Cet arrêt, qui montre une plus grande souplesse dans l’application de ces clauses par le juge et donc un poids plus grand laissé à la volonté des parties, est aussi l’occasion de faire le point sur le sort des clauses attributives de juridiction et les clauses compromissoires dans le contentieux de la rupture brutale des relations commerciales établies.
En droit commun de la procédure civile, les litiges entre commerçants sont portés devant le tribunal de commerce du lieu où demeure le défendeur (Articles 42 et 43 du code de procédure civile).
Entre commerçants, il est néanmoins possible de prévoir contractuellement d’attribuer la compétence d’un litige à une juridiction déterminée (article 48 du code de procédure civile) par le jeu d’une clause attributive de juridiction.
En matière de rupture brutale des relations commerciales établies, l’article D.442-3 du code de commerce désigne toutefois certaines juridictions spécialisées, compétentes pour statuer en matière de rupture brutale des relations commerciales établies, à savoir les Tribunaux de commerce de Marseille, Bordeaux, Tourcoing, Fort-de-France, Lyon, Nancy, Paris et Rennes.
Cette compétence exclusive n’est pas sans conséquence, dès lors qu’elle constitue une fin de non-recevoir d’ordre public, que le juge doit relever d’office (Cass. com., 21 juin 2016, n° 14-27.056. – Cass. com. 31 mars 2015, n° 14-10.016 ) et qui entraîne l’irrecevabilité de la demande (Cass. com., 6 sept. 2016, n° 14-27.085 et n° 15-15.328 ). Il ne s’agit donc pas d’une simple incompétence, mais d’une absence de pouvoir juridictionnel des juridictions non spécialisée.
Se pose donc la question de l’articulation entre cette spécialisation des juridictions en matière de rupture brutale des relations commerciales établies et la volonté des parties de (i) soumettre le litige à un tribunal arbitral ou (ii) désigner une juridiction exclusivement compétente qui ne figurerait pas dans la liste des juridictions spécialisées.
Une décision du 21 octobre 2015 de la première chambre civile de la Cour de cassation admet l’application d’une clause compromissoire prévue au contrat par les parties lors d’une action en indemnisation pour rupture brutale de relations commerciales établies. Dans cette espèce, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir jugé la clause applicable, dès lors que la clause était rédigée en des termes suffisamment larges pour couvrir les litiges nés d’une rupture brutale des relations commerciales établies.
Dans une décision du 1er mars 2017, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé qu’une clause attributive de juridiction ne peut faire échec au pouvoir juridictionnel des juridictions désignées par l’article D.442-3 du code de commerce lorsque le litige est interne. Dans cette espèce, un contrat comportait une clause attributive de juridiction au profit du tribunal de commerce de Créteil. La partie qui s’estimait victime d’une brutalité dans la rupture de ce contrat avait assigné, à bon droit, l’auteur de la rupture devant le tribunal de commerce de Paris, seul tribunal compétent.
Une telle clause trouvera toutefois pleinement à s’appliquer lorsque le litige en cause présente un élément d’extranéité et que la clause est rédigée de façon suffisamment large pour englober le contentieux de la rupture brutale (Civ 1ère, 18 janvier 2017), ce que confirme l’arrêt du 24 juin 2020 rendu par la Cour de cassation mentionné ci-dessus.
En résumé, le droit français permet aux parties de soumettre leur litige relatif à la rupture brutale des relations commerciales établies à la compétence d’un tribunal arbitral par le jeu d’une clause compromissoire. Il permet également aux parties confrontées à un litige qui présente un élément d’extranéité d’attribuer la compétence du litige à une juridiction étrangère.
Dans le contentieux interne toutefois, une telle clause attributive de juridiction ne saurait faire échec à la compétence de principe des juridictions spécialisées désignées par le code de commerce.
Par Cynthia Picart et Mélanie Ravoisier Ranson
13/07/20